Ils adorent lire à l’envers, raffolent des dessins en noir et blanc, idolâtrent Bleach, Fullmetal Alchemist, Demon Slayer ou Fairy Tail. Ils constituent la communauté des fans de mangas. En Nouvelle-Calédonie, comme ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à tomber sous le charme de cet univers incroyable.
Demandez à des lycéens s’ils ont déjà dévoré une bande dessinée japonaise. Un conseil : ne pariez pas votre collection de One Piece si vous y tenez. Il y en a forcément un ou deux dans le lot (si ce n’est des dizaines) qui sont familiers de ce genre littéraire. De nos jours, celui qui n’aime pas les mangas serait presque considéré comme un paria. Un retournement de situation qui fait doucement sourire Alan Salmi. Un fan de la première heure. « Comme beaucoup de gamins des années 1990, on se ruait à la maison pour regarder les épisodes de Dragon Ball entre midi et deux », se souvient-il. Naruto figure parmi les premiers animés qu’il visionne en version originale sous-titrée. « On était deux dans le collège à connaître. On était un peu des ovnis. Tout le monde se moquait de nous parce qu’on disait des mots en japonais », dit-il en riant. Difficile à concevoir aujourd’hui. Les jeunes parlent de mangas du matin au soir. Ils les lisent, les regardent à la télévision. Certains dessinent leurs héros préférés. D’autres créent carrément leurs costumes. Si on leur posait la question, c’est presque sûr qu’ils aimeraient vivre dans un manga. « Je pense que Netflix, dans la popularisation des animés, a joué un rôle assez énorme. » En tant que professeur documentaliste dans un lycée, Alan Salmi achète régulièrement des tomes pour ses élèves. « Ils viennent au CDI pour les consulter. » Même s’il aimerait que les lycéens feuillettent d’autres livres de temps en temps, il ne peut pas vraiment leur en vouloir. En grand passionné de Spy × Family, Space Brothers… Qui serait-il pour juger ?
UN VECTEUR DE VALEURS
Au fond, si ce format plaît autant, c’est parce qu’il touche chaque individu en plein cœur. « Ils parlent de sport, de harcèlement scolaire, de l’acceptation de soi… c’est très vaste », détaille Ambre Robson, 28 ans, secrétaire de l’association Manga NC. L’abondance d’histoires différentes fait son succès. Tout le monde peut trouver chaussure à son pied. « Ça peut aller de l’histoire classique shōnen, avec le héros qui veut protéger ses amis, à des histoires très complexes de géopolitique, historiques », précise Alan Salmi. Surtout, ce genre littéraire inculque des valeurs à ses lecteurs. « Ça t’apprend à être bon, protecteur envers ta famille. Je pense que pour des jeunes qui n’ont pas forcément de figure de référence, ça peut faire office de modèle », souligne le professeur. Quant au coup de crayon, il contribue largement à sa renommée planétaire. Cette façon unique de représenter les corps et les visages des personnages, l’exagération des situations. Certains mangas n’hésitent pas à déformer leurs héros à outrance afin de traduire leurs émotions. C’est ce que préfère Guillaume Nowaczyk. « Ça peut être très axé sur le détail. Dans Ken le survivant par exemple,les personnages sont baraqués à l’excès. D’autres sont représentés plus simplement pour l’aspect cartoon, gag. » Des graphismes très stylisés qui lui donnent envie de dessiner. Après avoir recopié des personnages iconiques, Guillaume Nowaczyk commence à inventer ses propres protagonistes. Il continue dès qu’il a un peu de temps libre. « Le manga a ouvert beaucoup de jeunes sur le dessin », assure Alan Salmi, qui lui aussi griffonnait, petit, les personnages de Dragon Ball dans un carnet.
UN RAYON POUR LES GRANDS CLASSIQUES
L’univers du manga, si gigantesque soit-il, est exploité de multiples façons. Et par tous les membres de la famille. « Il y a des mangas phares auprès des jeunes comme L’Attaque des Titans, One Punch Man. Dans les plus vieux, on peut citer Les Chevaliers du Zodiaque. Des parents insufflent cette passion à leurs enfants », dévoile Ambre Robson. La communauté de fans ne fait que s’agrandir. Au dernier Week-End Geek, la secrétaire de l’association Manga NC ne savait plus où les placer. « Chaque année, le nombre de bénévoles actifs augmente. Ça fait plaisir à voir. » Des réfractaires ? Il en existe bien encore un peu. Pour Alan Salmi, raccrocher des adultes qui n’ont jamais été en contact avec des mangas avoisine la mission impossible. « Il y a ce blocage de lire à l’envers, et au-delà de ce qui est écrit dans les bulles, il y a tout un langage qui est à part. » En revanche, pour les plus jeunes qui ont une aversion avec tout ce qui possède des pages, la bande dessinée japonaise peut renverser la tendance. Les grands chefs-d’œuvre de la littérature tels que Les trois mousquetaires, Hamlet ou Les Misérables se retrouvent au rayon mangas. Une porte d’entrée aussi pour les anciennes générations ?
Edwige Blanchon