Fuir ou rester : un habitant de Rivière Salée témoigne

« Je vis à Rivière Salée. Depuis le début des exactions, notre quartier est devenu l’un des plus chauds et dangereux. Dès les premiers jours, nous avons été contraints de quitter notre domicile. Les premières nuits, nous pouvions entendre les cris, les bruits des explosions. La tension était palpable, et lorsque des maisons ont été incendiées au bas de notre rue, nous avons su qu’il fallait partir.
Nous avons passé une semaine loin de chez nous, logeant chez de la famille, dans l’incertitude et la peur constante pour notre maison et nos biens. L’idée de laisser notre maison vide nous hantait. Nous savions que le risque de pillage était élevé et nous ne pouvions pas nous permettre de tout perdre. Nous avons donc pris la décision de revenir, malgré la situation toujours instable.
Le retour à notre maison ne s’est pas fait sans difficulté. Les barrages continuaient de fleurir dans plusieurs endroits de notre quartier, rendant les déplacements hasardeux et dangereux. Des familles, comme la nôtre, tentaient de passer, souvent au risque de leur vie. Les tensions étaient omniprésentes, et chaque jour, nous nous demandions si nous serions en sécurité la nuit suivante.
Ce sentiment d’abandon par l’État est profond et dévastateur. Nous nous sommes sentis laissés à nous-mêmes, sans soutien ni protection adéquate. Cette situation a fait naître en moi un sentiment de colère et de haine. Depuis 18 ans, je vis en Nouvelle-Calédonie, je participe à la vie de cette île, je respecte et apprécie la diversité qui fait la richesse de notre société. Le « vivre ensemble » n’est pas un concept abstrait pour moi, c’est une réalité quotidienne. Pourtant, aujourd’hui, on souhaite nous mettre dehors, nous faire partir de notre propre maison, de notre propre quartier.
Je ne peux m’empêcher de me sentir trahi par ce pays que j’ai appris à aimer. Les mots manquent pour décrire l’angoisse de ne pas savoir si nous serons encore en sécurité demain, si notre maison tiendra le coup, si les enfants pourront jouer dehors sans crainte. C’est une situation insoutenable, une épreuve quotidienne qui érode peu à peu notre espoir et notre confiance.
À l’heure où je vous parle, les barrages sont toujours présents. La violence n’a pas cessé, et l’incertitude reste notre quotidien, même si les choses s’apaisent petit à petit. Les nuits sont courtes, peuplées de cauchemars et de craintes. Nous vivons dans une atmosphère de tension permanente, où chaque bruit, chaque mouvement suspect nous plonge dans l’angoisse.
Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais j’espère de tout cœur que la situation s’apaisera bientôt. Nous avons besoin de retrouver une vie normale, de nous sentir en sécurité chez nous. Nous avons besoin de l’aide et du soutien de l’État pour traverser cette épreuve. Pour l’instant, nous tenons bon, par la force de l’habitude, par amour pour la Nouvelle-Calédonie. Mais combien de temps encore pourrons-nous continuer ainsi ? Combien de temps encore devrons-nous vivre dans la peur et l’incertitude ? Seul l’avenir nous le dira. »

Témoignage de Jérôme (nom d’emprunt), jeune homme de 26 ans habitant Rivière Salée