Fonds marins : « Nous, petit archipel, avons une responsabilité vis-à-vis du monde »

Le gouvernement a examiné un avant-projet de loi du pays, mercredi 23 novembre, pour préserver les profondeurs de toute exploitation minière. Son objectif est de promouvoir la recherche dans ces écosystèmes méconnus.

Hydrogène, gaz, terres rares, minéraux… La Nouvelle-Calédonie aurait toutes les ressources prisées par les acteurs de la transition énergétique, endormies au fond de ses eaux. Mais personne ne pourrait y toucher au cours des dix prochaines années. Mercredi 23 novembre, les membres du gouvernement ont accepté à l’unanimité un avant-projet de loi du pays pour interdire l’exploration et l’exploitation des fonds marins de la Zone économique exclusive (ZEE) calédonienne.

Cet espace maritime, sur lequel la Nouvelle-Calédonie est souveraine, correspond au 1,3 million de km2 du parc de la mer de Corail. « Nous, petit archipel, avons une responsabilité vis-à-vis du reste du monde, estime Joseph Manauté, membre du gouvernement en charge de la gestion et de la valorisation du parc naturel. La Nouvelle-Calédonie est un des 35 “hot spot” de biodiversité du monde, mais cette biodiversité est sensible et vulnérable. »

« ENFIN ! »

Les entreprises minières et certains États convoitent les abysses, notamment pour les métaux qu’ils contiendraient, très utiles à la fabrication des batteries des outils de demain. Cette loi du pays empêcherait localement l’exploitation minière des fonds marins, à la recherche des très enviés nodules polymétalliques par exemple. « C’est une très bonne nouvelle, c’est une première étape pour freiner la ruée vers ces ressources », savoure Hubert Géraux, expert conservation et plaidoyer WWF Nouvelle-Calédonie.

Joseph Manauté porte ce projet de moratoire au sein du gouvernement. / B.B.

 

L’antenne locale de l’ONG milite, avec d’autres associations de protection de l’environnement, pour la mise en place d’une telle mesure depuis plusieurs années. « Ces écosystèmes ont vécu des millions d’années sans perturbation, ils ont une très faible capacité de régénération et offrent très peu de résilience aux perturbations, défend Hubert Géraux. On n’a pas besoin d’exploiter les fonds marins. On nous fait croire que l’exploitation sous-marine est nécessaire pour répondre à la demande des métaux de nos gadgets technologiques. »

Ensemble pour la planète se réjouit d’un « pis-aller » et aurait préféré un moratoire de 25 ans. « Enfin ! Ce n’est pas trop tôt », s’exclame Action Biosphère. L’association regrette l’absence de notion de « protection des ressources biologiques » et de référence « au protocole de Nagoya contre le pillage des ressources génétique. »

CUEILLIR, SANS ABATTRE

Les profondeurs ne resteront pas inexplorées durant dix ans. Le gouvernement ouvre grand la porte à la recherche scientifique dans ces étendues encore méconnues. « Il s’agit d’interdire l’exploitation des fonds marins avec des méthodes destructrices. Les méthodes non invasives pourront être utilisées pour acquérir des connaissances », tempère Joseph Manauté.

L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a déjà supervisé des recherches. De nouvelles campagnes pourraient être menées au large de la Nouvelle-Calédonie afin de dresser un « état des lieux de l’existant » à l’aide de moyens « qui ne dégradent pas le vivant et le minéral ». Le gouvernement veut se doter d’une véritable « feuille de route » dans le domaine. « Depuis les années 1960, les études sur les fonds marins montrent d’énormes potentialités et des ressources intéressantes », relève Joseph Manauté, en évoquant de « nouvelles molécules pour soigner le genre humain ».

Toutes les connaissances acquises seront rendues publiques, promet le gouvernement si le moratoire passe. Chaque exploration autorisée sera listée dans un prochain arrêté du gouvernement. « Les moyens de la recherche scientifique peuvent parfois être très intrusifs, déplore Action Biosphère. Il faut un contrôle strict et indépendant des finalités de la recherche scientifique et un encadrement rigoureux. » WWF Nouvelle-Calédonie restera attentif. Les membres
locaux de l’organisation internationale soutiennent l’idée d’une exploration à but scientifique qui ne détruit pas la nature. « On peut cueillir un fruit sans abattre un arbre », résume Hubert Géraux.

Un long chemin administratif sépare encore le moratoire de son application. Le texte doit remonter au Conseil d’État, avant d’être étudié par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Comité consultatif de l’environnement (CCE) et le Sénat coutumier. La version finale sera ensuite soumise au vote du Congrès. Son application, s’il est validé, ne serait donc effective qu’à partir de l’année prochaine, courant mars.

Brice Bacquet

Photo : Le président du gouvernement Louis Mapou avait évoqué un moratoire lors de son discours de politique générale et au cours du 5e sommet France-Océanie en juillet 2021. / IFREMER