Il y a un peu de Nouvelle-Calédonie dans le deuxième opus de la saga Avatar qui cartonne sur les écrans. Florence Dosdane a participé à la réalisation de costumes, dont le collier de Neytiri, pour les studios Wētā Workshop, à Wellington. De retour sur le territoire, l’artiste autodidacte de 38 ans se consacre à son projet : imaginer des robes de soirée qui défient les codes.
Qui aurait pu penser que toutes ces heures passées à fabriquer des bracelets brésiliens dans son enfance la mèneraient jusqu’à un des plus grands studios de cinéma au monde ? « On me disait que je ne serai jamais payée à enfiler des perles », raconte Florence Dosdane, en souriant. Raté. Vingt ans plus tard, elle est embauchée par le studio de cinéma Wētā Workshop et participe à la réalisation de dizaines de pièces pour la saga Avatar, dont le collier de Neytiri. Tout « a commencé avec les pompons à la maternelle, j’en faisais des guirlandes ». Ensuite, il y a eu le macramé. « Je ne décrochais pas, je restais dans ma chambre pendant des heures. J’ai un syndrome autistique, alors tout ce que je faisais c’était fois 400. »
Du fait de la carrière militaire paternelle, elle vit une jeunesse nomade et se rend régulièrement en Nouvelle-Calédonie, « où on avait toute la famille ». Ses parents lui parlent d’écoles d’art. Mais Florence Dosdane se voit en scientifique et refuse même d’intégrer les Gobelins (grande école parisienne), où elle est pourtant acceptée sans postuler, et reste au lycée, « où je n’ai pas ma place non plus ». La jeune femme, née en 1984 en Métropole d’une mère calédonienne et d’un père vanuatais, décide de s’installer sur le territoire. Elle a 20 ans et enchaîne les petits boulots, obtient un CAP d’esthétique, devient masseuse, avant de finalement intégrer l’administration en tant que secrétaire.
Florence Dosdane a conçu et fabriqué la partie végétale du collier de Neytiri, pour laquelle elle s’est inspirée des fleurs carnivores du Grand Sud, les népenthès.
LE TEMPS DE LA BRICOLE
On est en 2010, elle profite de ses premiers salaires stables pour se rendre régulièrement au Japon, « son pays de cœur ». « J’étais en apnée en Nouvelle-Calédonie et je me défoulais à Tokyo. » Ce qui l’attire ? Tout. « Le surréalisme, la nature, la culture ancestrale, c’est un peuple qui a su garder ses racines tout en étant à la pointe de la technologie. Et une façon de fuir la réalité. »
Au fond d’elle, Florence Dosdane sent que l’art est ce qui lui correspond, mais elle ne sait pas de quelle façon. Ce qui est sûr, c’est qu’elle aime incarner des personnages – « il y avait le besoin d’exprimer la créature à l’intérieur de moi » –, notamment ceux de l’univers de Tim Burton, dont elle est une grande fan et, surtout, les confectionner.
Depuis son adolescence, elle visionne les making-of des films, comme celui du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, créateur de Wētā Workshop… Hasard ? « Je sentais une telle proximité avec ces gens-là, j’avais envie d’être avec eux, ils faisaient ce que j’avais envie de faire. J’avais un réel engouement pour l’envers du décor, les créateurs derrière tout ça. » L’apprentie bricoleuse s’exerce avec tout ce qu’elle trouve. « Le fait que l’accès aux matériaux soit limité ici a été une très bonne école. » Elle est douée, mais aussi maline et débrouillarde. Ses costumes, présentés aux concours locaux, raflent les premières places.
Le déclic survient lorsque Florence Dosdane assiste au tournage d’une série anglo-saxonne à Paris. « En regardant mes costumes, un accessoiriste a dit que j’avais un niveau international. J’avais enfin trouvé ma place. » Peu après, son frère, de retour de Nouvelle-Zélande, lui parle du World of WearableArt, une des plus grandes compétitions au monde mêlant art, mode et design. Florence Dosdane se lance et se donne quatre ans pour en faire partie. Il aura suffi de quatre mois. « J’ai été la première Française à être sélectionnée, ça a été de la folie. » Elle part s’installer là-bas en 2015. « J’ai été contactée par Wētā avant même le concours. »
Une autre des créations de Florence Dosdane, intitulée « la poupée cassée ». (© Martial Dosdane)
LA PÉRIODE KOH-LANTA
Aux studios, la recrue a cinq semaines pour faire ses preuves en tant que peintre et maquettiste, bosse jusqu’à 15 heures par jour. « J’arrivais chez moi à 2 heures, je tombais sur le lit habillée et couverte de peinture et, à 6 heures, j’étais dans le bus. Ça a été très dur. Il fallait se battre, c’était vraiment Koh-Lanta. » Son ardeur au travail et sa persévérance paient. Elle enchaîne les blockbusters. La Grande Muraille, Ghost in the shell, Blade Runner 2049, Power Rangers, Les Sentinelles de l’air. Jusqu’à Avatar : la voie de l’eau. Cette fois en tant que créatrice de costumes.
Jamais à court d’idées, elle s’appuie sur une de ses techniques favorites. Le macramé. Et s’inspire de son île. « Avec d’autres qui venaient des Samoa, de Fidji, on a intégré un maximum de nos cultures. J’ai ramené tout ce que j’ai pu de Nouvelle-Calédonie, même les coquillages du curios y sont passés. »
Celle qui se définit aussi comme artisane travaille sur les bracelets de Jake, le pagne de Tsireya, le top de Kiri, les couteaux de Rotxo, Ao Nung, Ronal et Tonowari, pour le compte de la cheffe costumière Deborah Scott connue, entre autres, pour Titanic, Retour vers le futur, Minority Report. Avec toujours, en toile de fond, sa chambre d’enfant. « Cela a été très dur émotionnellement. J’avais cette image de la moi adulte qui venait dire à la moi petite, vas-y, continue, ça va te servir à quelque chose. »
La robe Origami pond a été dessinée par Florence Dosdane, amoureuse de la culture nipponne. Elle représente une carpe koï dont les nageoires peuvent bouger sur une tenue entièrement faite à la main. (© Martial Dosdane)
LA CONSÉCRATION
Et puis, Florence Dosdane voit son nom défiler sur l’écran géant à la fin des films. C’est la consécration. « On ne peut pas vraiment monter plus haut en termes de fabrication. C’est le meilleur studio et la meilleure production au monde. Et c’est un projet unique en son genre, donc ça représentait pour nous le top du top. » Mais elle veut passer à autre chose, « faire en son nom et non plus celui du cinéma », démissionne, se retrouve bloquée sur la Grande Terre pendant le Covid, rencontre son amoureux.
Son ambition ? Concevoir des tenues de soirée « qui ne rentrent pas dans les critères des tapis rouges, voilà le défi ! ». Après ces années immergées dans un autre monde, le retour n’est pas facile. « Ça ouvre des portes dans le monde entier, mais pas ici. Ça m’a plutôt apporté la solitude, l’incompréhension voire l’indifférence. »
Florence Dosdane n’en est pas amère pour autant. Au contraire. Afin de compenser les journées intenses à Wellington, elle se lance dans l’escalade, anime une résidence d’artistes lors de la Nouméa Fashion Week 2021, vend deux robes, dont une pour un mariage. « Mon combat est juste de pouvoir arriver à continuer mes projets », glisse-t-elle, radieuse. Et peut-être voir un jour une de ses créations portée à la cérémonie des Oscars.
Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)