Fentanyl, Ice… « Des drogues que l’on ne veut pas voir venir »

Les services doivent s’adapter aux modes opératoires des trafiquants qui évoluent. La Nouvelle-Calédonie est un territoire à préserver des drogues dures. Le cannabis est déjà un fléau.© C.M.

Les douanes de Nouvelle-Calédonie organisaient cette semaine, sous l’autorité du haut-commissariat, un séminaire multidisciplinaire de lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone Pacifique. Une trentaine de pays étaient représentés. Le trafic « tourne autour » du territoire.

On a tous entendu parler des ravages des drogues dures aux États-Unis, en Asie et dans le Pacifique, ses liens avec le crime et les décès prématurés. Dans une ère globalisée, le trafic est un problème transnational, qu’il faut gérer à plusieurs.

C’est dans cette optique qu’a émergé en 2022, avec l’aide de la Mildeca (1), le projet Blue Coat qui vise la coordination entre les pays et territoires de la région. Après des rencontres à Los Angeles et Papeete, deux séquences sont prévues en Nouvelle- Calédonie.

La première, organisée sous l’égide de la douane à la CPS (Communauté du Pacifique), portait sur le renseignement. Il s’agissait de dresser un état des lieux des routes et nouveaux modes opératoires des organisations criminelles, des techniques pour repérer la dissimulation des drogues par voie aérienne et maritime, et les flux d’argent. Le second rendez-vous, au mois de novembre, se focalisera plus précisément sur la coopération judiciaire, policière et le renseignement financier.

« SEMER LA MORT »

Valentine Rioult, de la direction de la Coopération internationale de sécurité du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer (DCIS) (2), qui regroupe police et gendarmerie nationale, avait fait le déplacement. Précédemment en poste aux États-Unis, elle a en mémoire les « ravages » de l’Ice (méthamphétamine) en Polynésie française. « Des Polynésiens venaient se fournir en Californie et repartaient semer la mort. » Elle insiste sur l’importance de ce cycle de séminaires, qu’elle a participé à lancer pour le Pacifique Sud. « La coopération est absolument cruciale. »

Le territoire semble épargné par ce genre de drogues. Mais « c’est un vrai sujet, pour Théophile de Lassus, directeur de cabinet du haut-commissaire, une des priorités de l’État en matière de sécurité ».

« La drogue de synthèse tourne autour de la Nouvelle-Calédonie », abonde Bruno Dalles, le procureur général. Il insiste aussi sur les « effets glaçants » de l’Ice, qui concerne 10 000 personnes en Polynésie française, ou le fentanyl, « première cause de mortalité par stupéfiants » aux USA. « On n’est pas loin. Fidji est un lieu de passage. Il y a des traces d’Ice en Australie et en Nouvelle-Zélande. »

Selon Benoît Godart, directeur régional des douanes, ses services ne font « que cela », d’aider nos voisins. Il arrive que la cocaïne destinée à l’Australie et les méthamphétamines à la Nouvelle-Zélande transitent ici par bateau. Il fait état de trois tonnes de cocaïne saisies, une tonne de méthamphétamines en 10 ans sur sept affaires, et 35 grammes de fentanyl en 2022. Pas d’Ice pour l’heure. La drogue arrive essentiellement par voie maritime, mais le fret aérien peut aussi être concerné (2,5 kg de cocaïne sur plusieurs affaires).

PRÉVENIR PLUTÔT QUE GUÉRIR

L’émergence de ces drogues serait un drame sur le territoire où l’on trouve déjà un marché important de cannabis, des personnes en situation de précarité et de polytoxicomanie, insiste Bruno Dalles. « Il faut que l’on soit plus efficace dans la recherche, l’exploitation de renseignement, qu’on agisse sur la prévention, qu’on s’arme en termes de répression. Et il nous faut regarder si nous ne sommes pas nous-même exportateurs de ce cannabis présent en grande quantité et très concentré en THC qui peut intéresser nos voisins. »

Un trafic localement organisé avec des saisies régulières jusqu’à « 200 ou 300 pochons », selon Jean-Marie Cavier, directeur territorial de la police nationale, sous les ordres duquel une lutte « sans merci » est menée avec d’importants succès ces derniers mois.

À Tahiti, l’Ofast, Office antistupéfiants (3), se focalise sur l’Ice. Composé de policiers, doua- niers, gendarmes et magistrats, il capte et exploite les renseignements pour monter des opérations. Il est également compétent pour la Nouvelle-Calédonie. Son représentant, le capitaine Olivier Cabon, a insisté sur l’importance d’être « très vigilants » sur les vecteurs aériens, avec la liaison hebdomadaire Papeete-La Tontouta, et rappelle au besoin, que les affaires sont séduisantes. « 1 gramme acheté 20 euros [environ 2 400 francs] aux États-Unis peut être revendu jusqu’à 2 500 euros [près de 300 000 francs] en Polynésie française. »

Le patron des douanes, Benoît Godart, annonce pour l’année prochaine des sessions de formation pour les officiers de terrain sur une plateforme partagée d’échange de renseignements. Une équipe cynophile va être formée en Nouvelle-Zélande pour détecter ces drogues et le cash. Elle sera opérationnelle en 2024.

1 – Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et les conduites addictives.    2- La DCIS met en œuvre la coopération internationale du ministère par un réseau de 78 services implantés dans nos ambassades à travers le monde, compétents dans 150 pays.  3 – L’Ofast est rattaché à la direction centrale de la police judiciaire (14 antennes en France, dont trois en outre-mer).

Chloé Maingourd

Hausse du traffic en 2022 selon l’UNODC

Le rapport annuel de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) portant sur 2022 dans la région fait état d’une hausse de l’offre de méthamphétamine (Ice, crystal meth), principale drogue dure en Asie-Pacifique, et d’une baisse significative des prix. La Thaïlande, le Laos et le Myanmar sont en première ligne de ce commerce illicite. Le trafic se diversifie avec la kétamine, saisie en quantité record en 2022.

 

La conférence a rassemblé 60 délégués de 27 pays, dont les membres de l’Organisation des douanes océaniennes (OCO) et les services américains et japonais. On trouvait aussi les polices calédoniennes, australiennes et néo-zélandaises, les directions et offices en charge de la lutte contre les stupéfiants (Europol, Unodc), de la coopération régionale et du monde économique.© C.M.