Les Loyalistes voient, à travers cette proposition pour l’avenir institutionnel, une porte de sortie aux échecs de l’accord de Nouméa. Les contours de la notion sont esquissés et soulèvent des questions.
Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, de passage en Nouvelle-Calédonie du 11 au 13 novembre, ont suggéré de réfléchir à la notion de souveraineté partagée pour la construction de l’avenir institutionnel. La démarche de la mission de concertation et de dialogue permet de poser, aujourd’hui, sur la même table, les différents projets des politiques locaux en vue de discussions approfondies.
Les Loyalistes ont proposé, la semaine dernière, le concept de la fédération territoriale, s’inspirant très largement du discours de Dick Ukeiwë prononcé le 24 janvier 1985 devant le Sénat. Comme l’élu RPCR il ya près de 40 ans,Sonia Backès et Nicolas Metzdorf appuient leurs propos sur trois principes. Tout d’abord, le maintien « sans équivoque » de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. Ensuite, la sauve- garde de l’unité du territoire. Enfin, la mise en place par chaque province de son projet de société.
Les rouages de la proposition n’ont pas été détaillés à ce stade. Mais, pour la présidente de la Maison bleue, « fédéralisme interne, hyperprovincialisation, différenciation provinciale… C’est le même projet, et nous avons trouvé le terme qui répond à ce que nous voulons porter : fédération territoriale ». Cette conviction, rejetée par Calédonie ensemble et les indépendantistes, est née du résultat des référendums par zone géographique, puis a été renforcée par les événements violents survenus à partir du 13 mai.
La cheffe de file des Loyalistes avait davantage explicité l’idée dans une interview accordée aux Nouvelles calédoniennes en décembre 2019. En l’occurrence, « donner la quasi-totalité des compétences aux provinces de façon à ce que chacune puisse mettre en œuvre ses propres orientations politiques, laisser à l’État l’exercice des compétences régaliennes, et reconstituer une sorte de conseil exécutif réunissant les présidents de province pour harmoniser ce qui doit l’être ». Cette entité, positionnée à la place du gouvernement collégial à bout de souffle selon la dirigeante, « serait moins une instance décisionnelle qu’une instance pour évoquer nos problèmes communs ». En clair, un espace de concertation.
Le groupe Rassemblement du Congrès défend cette « vision d’un fédéralisme interne adapté à notre territoire ». Le 4 mai 2021, Pierre Frogier, pour Les Républicains, avait justement décrit ses propositions tenues par une ligne directrice devant le Sénat : « Après avoir négocié deux accords, négocions un désaccord pour une coexistence apaisée ». Autrement dit, il est nécessaire de « s’entendre sur nos divergences pour en limiter les effets et organiser notre avenir ».
Le parlementaire d’alors avait milité en faveur de la réaffirmation de la prééminence de la collectivité provinciale. Chaque assemblée serait élue selon son propre régime électoral. L’État assumerait les compétences régaliennes, mais certaines pourraient être partagées avec les provinces. Enfin, « pour éviter les lourdeurs du gouvernement collégial », un collège médiateur serait instauré, avec un président représentant la Nouvelle-Calédonie en toutes circonstances.
« PARTITION »
Une question de base se pose, est-ce réellement envisageable ? L’ancien ministre LR et ex-président de la mission d’information relative à l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, Dominique Bussereau, était formel, lors du colloque universitaire en novembre 2017 à Nouméa : le fédéralisme, « à l’opposé d’autres pays européens », n’est pas dans la tradition politique française. Les dénominations ont changé au gré des personnalités loyalistes et des périodes, mais la réalité demeure la même, indique Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public et fin connaisseur des textes calédoniens, pour qui, derrière le terme de fédération territoriale, « il s’agit, ni plus ni moins, d’aboutir à une partition de la Nouvelle-Calédonie ».
Le coauteur du rapport Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie paru en 2014 estime même la proposition des Loyalistes périlleuse. « Autant je considère que le sujet de la répartition des compétences entre le pays, les provinces, sans oublier les communes dont l’importance est trop souvent négligée, doit bien être posé sur la table des futures négociations, autant je pense que pousser le curseur aussi loin, non seulement placerait gravement la France en porte-à-faux avec le droit international public, mais encore représenterait un terrible constat d’échec pour notre République universaliste, fondée sur un idéal d’égalité, en consacrant une forme d’apartheid. »
L’accord de Nouméa a exclu la perspective d’une découpe de l’archipel. « La promesse d’un développement séparé », comme le désapprouve Ferdinand Mélin-Soucramanien, se logerait alors mal dans le vœu exprimé par le président du Sénat, Gérard Larcher : voir concrétiser « la conjugaison de deux rêves ». Les Calédoniens auront aussi leur mot à dire.
Yann Mainguet