Faut-il un débat public sur le système électrique ?

Le prix de l’électricité calédonienne fait partie des plus élevés au monde. Le système de tarification est opaque et ne permet pas de comprendre les différents coûts. La volonté du nouvel exécutif de soutenir la SLN en lui accordant un tarif d’approvisionnement spécifique suscite des réactions dans la classe politique. Un débat au Congrès a été demandé sur cette question et plus généralement sur la tarification du système électrique par Calédonie ensemble du fait d’un possible impact sur la facture des usagers.

L’électricité est un poste qui pèse sur le budget des ménages. Selon la dernière enquête budget consommation des ménages, qui remonte à 2008, la facture électrique représente 3,58 % des dépenses totales des Calédoniens. Un poste plus important que celui des carburants, de l’impôt sur le revenu ou encore du téléphone. Avec un prix public de 33 francs du kilowatt, la Nouvelle-Calédonie fait partie des pays où la facture est la plus élevée.

Les difficultés de la SLN et son manque de compétitivité, intimement liés à l’absence d’investissements pour renouveler son outil de production électrique, ont poussé la classe politique à s’engager à aider l’industriel en acceptant tout d’abord de prendre en charge le coût de construction de la future centrale. À plus court terme, le soutien passe par une révision du tarif des kilowatts vendus par Enercal. Un tarif qui avait été revu à la hausse en 2013 après une procédure de près de quatre ans. Pour mémoire, la SLN bénéficiait d’un tarif extrêmement avantageux : 90 % de l’électricité produite par le barrage de Yaté à un prix de 2,6 francs du kilowatt. Un soutien décidé lors de la construction du barrage pour permettre l’essor de la filière nickel. Cette aide avait toutefois été imaginée pour 40 ans, de sorte que le faible coût de production bénéficie, in fine, à la population. Au lieu de 40 ans, l’aide aura été maintenue pendant 55 ans.

Enercal a donc réuni son conseil d’administration, le 28 octobre en fin de journée, afin d’adopter un nouveau dispositif de soutien. Ce dernier prévoit un système de tarifs variables, arrimé au cours du nickel au London Metal Exchange. Pour faire simple, en cas de cours du nickel élevé, le prix de l’électricité est élevé et en cas de cours bas, le prix de l’électricité baisse. Pour un cours du nickel compris en 15 000 dollars US et 18 000 dollars US la tonne de nickel, le prix de l’électricité n’est pas impacté. En dessous, Enercal devra verser un malus à la SLN plafonné à un milliard de francs. Au-dessus, ce sera à la SLN de verser un bonus à Enercal, lui aussi plafonné à un milliard de francs. Le système qui sera mis en place à compter du 1er janvier 2020 et prendra fin à la mise en service de la future centrale ou à « la décision de la SLN de ne pas donner suite au projet de centrale pays », une formulation laisse entendre que l’usine de Doniambo pourrait cesser son activité.

Pas d’impact pour les usagers, mais potentiellement pour les contribuables

Le gouvernement, qui a la charge de réguler le système électrique, s’est par ailleurs engagé à ne pas augmenter les tarifs publics de l’électricité. Enercal s’est enfin félicité de « pouvoir apporter sa contribution au volet énergie du plan de sauvetage de la SLN et sera particulièrement attentif à l’évolution de la situation économique de la SLN à travers la progression de sa compétitivité ». Une déclaration étonnante si l’on considère que le directeur d’Enercal, Jean-Michel Deveza, avait prévenu, au mois de mars, qu’une aide à la SLN aurait potentiellement un impact pour l’usager, via une augmentation du prix du kilowatt, ou pour le contribuable, qui financerait le déficit au travers d’une prise en charge du déficit par les collectivités.

Si le gouvernement s’est engagé à ne pas revoir le prix public de l’électricité, en cas de cours du LME inférieur à 15 000 USD la tonne, il faudra bien que « quelqu’un paye » et ce quelqu’un, ce sera le déficit d’Enercal, sur lequel pèse déjà un système de tarification électrique déséquilibré. Mais en bout de course, ce seront bien les contribuables qui assumeront cette aide à la SLN, Enercal étant une société d’économie mixte détenue majoritairement par la Nouvelle-Calédonie (54,4 % du capital). Et de fait, le dossier de la SLN implique une réflexion bien plus générale sur le système électrique calédonien et sa tarification. Ce dernier est à la croisée des chemins avec le projet de nouvelle centrale à gaz, mais aussi l’application du schéma pour la transition énergétique (STENC) qui prévoit de réduire les consommations et de substituer les énergies renouvelables aux énergies fossiles. En matière de réduction des consommations, on est loin du compte puisque près de trois ans après l’adoption du schéma, la consommation d’électricité par habitant continue d’augmenter et rien n’a été véritablement entrepris pour inverser la tendance.

Une réflexion globale et conduite au niveau du Congrès est d’autant plus nécessaire que de nombreux éléments devront être améliorés et que ce sont bien les élus du boulevard Vauban qui auront la charge de valider les réformes. C’est du moins ce qui devrait ressortir d’un rapport de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’autorité régulatrice indépendante du système électrique français, sur la tarification de l’électricité en Nouvelle-Calédonie, qui devrait être prochainement rendu public. Il pourrait notamment montrer qu’Enercal n’est pas rémunéré pour l’ensemble de ses coûts, ce qui n’est pas le cas de l’autre opérateur de la distribution. Autrement dit, le bénéfice réalisé par EEC est, d’une certaine manière, assuré par le déficit assumé par Enercal. Ce déséquilibre, l’Autorité de la concurrence calédonienne l’avait déjà souligné en juillet dernier dans un rapport relatif au renouvellement du contrat de concession de la distribution d’énergie électrique de la commune de Nouméa.

Un grand nombre d’éléments à remettre à plat

« Le système tarifaire dans son application actuelle est susceptible de générer un déficit supporté par Enercal avec la composante de stabilisation. Enercal est le seul acteur du système tarifaire à ne pas recevoir de versement fiduciaire des coûts reconnus par le modèle tarifaire et ainsi supporter le coût de la politique énergétique décidée par le gouvernement de la Nouvelle Calédonie qui est aussi la seule autorité à pouvoir augmenter les tarifs de la distribution. Enercal considère donc que le montant des charges d’exploitation qui lui est attribué ne reflète pas la réalité des coûts réellement supportés en l’absence de compensation de la composante de stabilisation, contrairement à celui attribué à son concurrent. La composante de stabilisation qui n’est plus versée depuis 2013 par le gouvernement et Enercal est une somme qui vise à limiter ou maintenir le niveau des prix de l’électricité. »

Le renouvellement de la concession de la ville de Nouméa est un autre des facteurs clés de l’organisation du système. La CRE devrait proposer un rapprochement des deux opérateurs de la distribution, Enercal et EEC, qui seraient placés sous la tutelle d’une autorité de régulation indépendante pour contrôler et maîtriser les coûts. L’Autorité indépendante serait également chargée d’examiner les dossiers déposés dans le cadre d’appel à projets pour le photovoltaïque, par exemple. Une reprise qui éviterait les risques de conflits d’intérêts ou de favoritisme en apportant davantage de transparence au processus de désignation des projets retenus.

Le système électrique calédonien, déjà compliqué, se complexifie encore avec le développement des énergies renouvelables qui pourrait s’avérer coûteux. C’est sans même parler du dimensionnement de la future centrale de Doniambo qui pose la question de la stratégie nickel et de la mutualisation des moyens de production électrique à destination de la métallurgie. Une question qui se pose tout particulièrement pour la centrale de Prony énergies, qui fonctionne au charbon à un coût potentiellement supérieur à celui de la future centrale à gaz. Si l’aide d’Enercal à la SLN devait se passer de ce débat, comme Calédonie ensemble l’appelait de ses vœux, Christopher Gyges a fait savoir via les réseaux sociaux qu’il souhaitait également un débat public sur ces questions. La balle est entre les mains des présidents du gouvernement et du Congrès.

M.D.