Érick ou du poisson pour tous

Vu la conjoncture, « j’ai décidé à un moment d’offrir du poisson à des familles dans le besoin », explique Érick Richard. (© Y.M.)

Le pêcheur bouraillais Érick Richard, alias Capitaine Ricky, livre par la mer son poisson au Mont-Dore Sud coupé du monde et en offre une partie aux habitants qui ont perdu leur emploi.

De bien rares piétons, sac à dos vissé sur la veste épaisse, traversent la baie de la Moselle plongée dans la nuit. Sous la lumière pâle des réverbères, Érick Richard extirpe les glacières du pick-up, puis les pose, après quelques mètres d’effort, à la poupe du bateau. Une heure en mer au programme, au lever du soleil.

À hauteur de la tribu de Saint-Louis, la route est coupée et dangereuse. « On soutient la population du Mont-Dore Sud. Elle est au bout du monde », souffle le pêcheur bouraillais, bien connu sous le nom de Capitaine Ricky. « Si personne ne prend l’initiative, elle n’aura pas de poisson. » Le gaillard souriant livre, vend et offre au wharf du Vallon-Dore. Dans ce contexte d’émeutes, il a fallu inventer, après s’être réinventé.

AVEC LES JAPONAIS

Pendant des années, Érick Richard était un acteur en vue du tourisme nautique. Sous sa direction, des groupes, surtout de Japonais, partaient en mer, appréciaient un barbecue sur l’île Verte… L’affaire marchait bien, avec 200 touristes au plus fort par mois. Le Covid-19 est arrivé, et « plus aucun client du jour au lendemain », se souvient le marin qui, issu d’une famille de pêcheurs de Nessadiou à Bourail, a naturellement pris la voie tracée par ses aînés. « Les gens mangent davantage qu’ils ne se baladent. »

Le bond professionnel ne fut pas compliqué, Capitaine Ricky taquine le poisson depuis l’enfance. Le bateau a juste changé, et la zone de pêche s’est élargie. Un vaste espace, de Poya à Yaté, dans lequel les thons jaunes et bachi, les marlins, les mahis-mahis, les picots et bossus se plaisent. Une fois capturée, cette ressource est vendue en direct ou sur les tables au marché de La Foa, Koné ou Nouméa. « On s’en sortait, confie Érick Richard, mais avec les émeutes, on est moins libres de nos mouvements, comme les clients. D’où la décision de livrer le poisson par la mer », de façon à gérer soi-même le planning en cette période de blocages. « On est bien mieux en mer que sur les routes. »

La solidarité des gens de Brousse s’est encore une fois exprimée à travers les initiatives du pêcheur jovial. Par le transport vers Nouméa ou Bourail de personnes dans le besoin avec son bateau, moyennant une participation aux frais d’essence. Par la livraison de couches, de farine, de viande et autres produits alimentaires. Et par l’acheminement de poisson au Mont-Dore Sud, comme en ce vendredi de juillet pluvieux.

Tandis qu’à l’aube, une file d’habitants de tous âges s’étire sur le wharf du Vallon-Dore et attend patiemment l’arrivée d’une navette maritime, Érick Richard déplie une table, un peu plus haut, près des arbres, à l’emplacement du petit marché créé par l’association citoyen mondorien. Des pots de marinade sont disposés, des tranches de citron aussi. Les commandes, passées par un réseau social et un coup de fil, sont prêtes dans la glacière. À un prix habituel, selon Capitaine Ricky. « Ce serait malsain d’augmenter les tarifs parce qu’il faut une heure de livraison en bateau », alors « je prends sur ma marge ».

« C’EST DUR »

Une part du volume amené est offerte. Un don, parce que « des familles ont faim, des gens ont perdu leur boulot ». Comme Yasmina qui travaillait dans un commerce à Dumbéa. « Le magasin a brûlé », explique la maman qui reçoit une longe de thon et des mots de soutien.

Marie, qui s’était aussi manifestée auprès du pêcheur bouraillais, œuvrait elle à Normandie dans une pâtisserie qui est partie en fumée dès le mardi 14 mai. Le morceau de poisson est le bienvenu, parce que « c’est dur financièrement en ce moment, surtout que j’ai un enfant ». L’échange n’est pas long avec Ricky, mais les remerciements sont simples et sincères.

De passage dans le coin, Sandrine, qui a perdu son contrat dans la maintenance, est venue saluer l’homme de l’océan. Il y a quelques jours, la technicienne a « bénéficié d’une poche de thon. Une belle quantité pour de bons repas ».

Au-delà de la quinzaine de clients, cinq dons sont inscrits dans le cahier en ce vendredi matin. « Ce n’est pas grand-chose, c’est un grain de riz dans l’assiette, compare Érick Richard, mais ça fait plaisir aux gens. » Demain, un nouveau cycle commence, si le vent le permet : bateau, pêche, réception des commandes, et coups de fil de Calédoniens pour une petite aide.

Yann Mainguet