Entretien : « Les discussions seront dures, on ira chercher la question de l’indépendance »

Vie chère, prêt de 21 milliards, réforme fiscale, critiques sur le manque de collégialité, législatives, union des non-indépendantistes, etc. Le président du gouvernement, Louis Mapou, s’exprime sur les dossiers du moment ainsi que sur les discussions à venir avec l’État.

DNC : La contestation enfle face à l’inflation. L’Association citoyenne de Nouvelle-Calédonie n’est pas satisfaite de vos propositions sur le carburant et l’alimentation. Où en êtes-vous sur ces deux sujets ?

Louis Mapou : Concernant l’énergie, un texte, qui sera examiné par le Congrès lundi 30 mai, va permettre de diminuer les taxes sur les produits pétroliers afin de pouvoir agir sur le prix de l’essence. On espère une baisse d’environ 16 francs. Nous allons aider les acteurs du transport aérien, terrestre et maritime afin qu’ils ne répercutent pas l’augmentation du gazole sur les tarifs aux usagers. Des discussions sont en cours afin d’aider les foyers les plus modestes à s’acquitter de leurs factures d’électricité, de carburant et de gaz. J’ai demandé aux pétroliers de faire un effort. Le cas échéant, il n’est pas impossible que je prenne des mesures d’autorité. Concernant la partie alimentaire, il y a la mise en place du bouclier qualité-prix (lire page 8).

D’autres mesures sont-elles prévues ?

Nous comptons améliorer la communication sur les produits pour une meilleure information aux consommateurs et augmenter les contrôles avec dix postes de releveurs de prix supplémentaires. Un travail est mené avec le syndicat des commerçants sur les règles de revalorisation des baux commerciaux et un autre est effectué sur les marchés publics. L’idée est de pouvoir les réajuster en cas de hausse des prix. On pense aussi mettre en place le dispositif du solde bancaire insaisissable, c’est-à-dire laisser un montant minimum sur le compte d’une personne surendettée pour lui permettre de faire ses achats alimentaires.

En appellerez-vous à l’État ?

J’ai demandé de pouvoir bénéficier du plan de résilience et le Congrès a sollicité la transformation d’une partie du dernier emprunt en subventions. Mais ma philosophie, c’est qu’il faut faire des efforts au niveau local avant de faire appel à la solidarité nationale. On ne peut pas être dans un processus d’émancipation et ne pas assumer les responsabilités qui vont avec.

La signature du prêt de 21 milliards de francs a été repoussée. Êtes-vous confiant quant à sa souscription avant le mois de juillet ?

J’ai l’assurance du côté de l’État que les conditions qui nous seraient consenties dans le cadre de ce prêt seraient de nature à nous amener à signer. Il faudrait que cela soit fait au plus tard fin juin pour que la Nouvelle-Calédonie puisse assumer ses engagements en juillet.

 

Je ne sais pas si on peut confier la Nouvelle-Calédonie à des responsables ou des mouvances qui en ont eu la charge ces trente dernières années. Elle a besoin qu’on la regarde autrement que par le prisme des quartiers Sud, de l’économie, de l’instrumentalisation des politiques à engager au bénéfice de ceux qui veulent être élus.

 

Dans ce contexte difficile, comment le gouvernement assume-t-il la réforme fiscale ?

Jusqu’à présent, tout le monde nous reprochait l’effet de « masse ». Nous, on voulait donner de la visibilité en donnant une programmation. Maintenant, on est dans une phase différente, celle de l’examen texte par texte. La réforme de la CCS doit être présentée en séance du gouvernement, on verra comment chacun se prononce.

Faut-il en diminuer l’ampleur ?

Je vais présenter le rapport de la Chambre territoriale des comptes sur les comptes 2017-2021, qui nous dit que nous devons faire les efforts nécessaires, le lundi 30 mai au Congrès. La CTC confirme notre orientation, c’est une bonne nouvelle puisque cela signifie que tout le monde doit pouvoir être d’accord sur l’idée qu’il faille faire des efforts. Après, la réforme ne peut se faire sans interroger son impact sur deux points, qu’en est-il pour les entreprises et pour la consommation ?

 

Je crois qu’on est un outil d’apaisement. Il n’est pas interdit de penser que c’est peut- être parce que c’est un gouvernement à majorité indépendantiste que les choses se passent plutôt bien depuis l’année dernière.

 

Justement, le patronat n’y est guère favorable…

Oui, mais tout le monde est au travail, c’est ce que je retiens. Si les patrons refusaient de participer à la discussion, cela m’aurait inquiété. Là, on discute beaucoup, donc je pense que les acteurs économiques et sociaux et le gouvernement peuvent parvenir à un consensus. Et je note que des positions ont évolué, certains étant désormais favorables au fait de réviser les bas salaires.

C’est une année difficile, mais de transition. J’ai besoin que tout le monde retrousse ses manches pour voir comment sortir de cela ensemble. Ce que j’espère, c’est que l’on passe à autre chose en 2023.

Prévoyez-vous une relance en réponse aux efforts demandés ?

Nous espérons présenter les grandes lignes d’un plan de relance lors de l’examen du budget supplémentaire fin juin, et on mène une réflexion sur ce que serait le nouveau modèle calédonien. On a engagé une large concertation qui doit être suivie du forum Perspectives, prévu début juillet.

 

La Nouvelle-Calédonie n’a pas bien travaillé durant toutes ces années, si elle l’avait fait, elle affronterait le contexte actuel en étant mieux outillée.

 

On vous reproche un manque de collégialité dans la gestion des affaires, que répondez-vous ?

La collégialité est un mode opératoire interne au gouvernement. Je trouve dommage que ce concept soit instrumentalisé à l’extérieur. Il y a quelques couacs, mais cela se passe plutôt bien. Pratiquement 90 % des textes font consensus. Les seuls qui font l’objet de difficultés sont ceux qui sont politiques, comme la fiscalité. C’est un bel outil, mais il faudra sûrement regarder comment on peut davantage contraindre les membres du gouvernement à la collégialité, parce que je trouve ubuesques les critiques qui sont faites par ceux censés la respecter.

La chute du gouvernement est évoquée depuis plusieurs semaines, la craignez-vous ?

Je conduis un gouvernement pour une mission précise. La Nouvelle-Calédonie est mal et il faut reprendre tous les sujets pour proposer quelque chose. 2022 est une année de chantiers, cela peut faire brouillon, mais elle a besoin qu’on mette un coup de pied dans la fourmilière, sinon elle reste dans son confort et passe son temps à se plaindre. La Nouvelle-Calédonie n’a pas bien travaillé durant toutes ces années, si elle l’avait fait, elle affronterait le contexte actuel en étant mieux outillée.

Après, je ne sais pas si on peut confier le territoire à des responsables ou des mouvances qui en ont eu la charge ces trente dernières années. Il a besoin d’être regardé autrement que par le prisme des quartiers Sud, de l’économie et de l’instrumentalisation des politiques à engager au bénéfice de ceux qui veulent être élus. Et s’ils prennent le gouvernement, il faudra qu’ils démontrent qu’ils sont capables de faire mieux que ce qu’ils ont fait jusque-là.

Êtes-vous assuré d’avoir le soutien de l’Éveil océanien ?

C’est un travail à entretenir en permanence. J’ai un membre de l’Éveil océanien dans mon équipe et je n’ai pas l’impression qu’il se pose plus de questions que cela. J’ai des relations avec le parti, que je connais bien. S’il décide de jouer une autre carte que celle qu’il a jouée avec nous, ce sera sa responsabilité. Moi, j’avance et puis on verra.

 

Les loyalistes sont en bilatérale permanente avec l’État, ils ont même été jusqu’à se confondre avec la majorité présidentielle. Les indépendantistes doivent aller à la reconquête de l’opinion française, des parlementaires. On a besoin de renouveler avec l’État les termes du débat sur l’avenir.

 

C’est important que les indépendantistes s’engagent dans les législatives ?

Oui, la Nouvelle-Calédonie a besoin que les discussions sur son avenir soient relayées au Parlement, parce qu’une éventuelle révision de la Constitution passe par une bonne compréhension de cette instance. C’est aussi important parce que depuis l’année dernière, les interlocuteurs du gouvernement central et de l’Assemblée nationale sont pour le maintien au sein de la République. Les loyalistes sont en bilatérale permanente avec l’État, ils ont même été jusqu’à se confondre avec la majorité présidentielle. Les indépendantistes doivent aller à la reconquête de l’opinion française, des parlementaires. On a besoin de renouveler avec l’État les termes du débat sur l’avenir. On ne peut pas se contenter de l’affirmation qui dit que les trois référendums sont passés et qu’il faut tirer un trait dessus.

Les non-indépendantistes proclament l’inverse. Sur quelle base partir pour les discussions institutionnelles à venir ?

On a toujours engagé les discussions avec l’État sans annoncer la couleur, cela se fera d’abord avec lui. Mais cette fois, il s’agit d’une nouvelle négociation pour évoquer la gestion de ce qui constitue les dernières relations avec l’État (lire page 7).

Ces discussions pourront-elles s’engager tout de suite après les législatives ?

On est dans l’attente. Si quelqu’un a envie de discuter, il peut venir le faire. J’ai noté que les candidats sont très pressés et vindicatifs. Les discussions seront dures, c’est clair. On ira chercher la question de l’indépendance

Comment voyez-vous l’union des loyalistes ?

J’observe que, pour la première fois, elle se fait dans des conditions très difficiles. Cela interpelle sur ce que porte encore le mouvement. Je me demande si ce ne sont pas les derniers soubresauts. Quand vous regardez comment les alliances sont faites, c’est moins clair que par le passé, on a du mal à comprendre comment les gens peuvent se retrouver sur des positions opposées et avoir comme plus petit dénominateur commun le président de la République. Finalement, les gens n’ont pas décidé d’assumer leurs responsabilités et s’accrochent. C’est grave. Comment les choses vont se présenter pour la suite ? C’est un gros point d’interrogation.

 

On a du mal à comprendre comment les gens peuvent se retrouver sur des positions opposées et avoir comme plus petit dénominateur commun le président de la République.

 

Cela fait presque un an que vous êtes à la tête du gouvernement, quel bilan tirez-vous ?

Un des premiers objectifs était de stabiliser les choses, je crois qu’on y est arrivé. Il faut profiter de l’opportunité d’avoir des gens qui ne sont accrochés à aucun lobby pour initier des changements et avancer. Certains disaient qu’on était incapables de gérer le gouvernement, et cela fait dix mois. Je crois qu’on est un outil d’apaisement. Il n’est pas interdit de penser que c’est peut- être parce que c’est un gouvernement à majorité indépendantiste que les choses se passent plutôt bien depuis l’année dernière.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)