Aline* était à Jérusalem lorsque la guerre a éclaté avec l’Iran. L’espace aérien étant totalement fermé, cette Calédonienne a fait preuve d’un grand courage pour sortir du pays par voie terrestre, en Égypte.
Il en faut beaucoup pour ébranler Aline. Atteinte d’une maladie en récidive après les émeutes, cette femme de 53 ans, résidant à Nouméa, souhaite depuis plusieurs mois aller prier à Jérusalem pour elle et un « meilleur futur pour la Nouvelle-Calédonie. » Elle est non juive, mais très attachée à ce pays et cette ville qu’elle connaît bien pour y avoir effectué des stages durant sa jeunesse, notamment au consulat de France à Jérusalem-Est, dans « la partie palestinienne ». Elle y a noué nombre d’amitiés et s’est même rapprochée de la communauté à Nouméa.
Traitée en Métropole pendant quatre mois, sa pathologie régresse. « C’était mon défi de repartir en France puis d’aller en Israël avec l’aval de mon médecin. » Mais ses proches lui déconseillent le voyage dans le contexte actuel. Son premier vol, le 23 mai au départ de l’Hexagone, est annulé, mais Air France reprend ses vols sur Israël la semaine suivante. Elle part le 9 juin pour 11 jours. Le conflit contre l’Iran est déclenché dans la nuit du 12 au 13.
MAMAD
« À l’hôtel, à ce moment-là, je n’ai pas d’application d’alerte aux bombardements. Je suis réveillée en pleine nuit par mon amie israélienne, Orit, en Nouvelle-Calédonie. La veille, j’étais avec sa maman dans la vieille ville de Jérusalem-Ouest (partie israélienne), au marché de Mahane Yehuda. Elle me dit : ‘‘va dans la pièce sécurisée, ne panique pas !’’ » Les immeubles en Israël disposent généralement d’un abri, un mamad en hébreu, la meilleure protection contre les missiles. Ici, c’est un parking. « On dit qu’il faut trois étages au-dessus de vous. Si ça s’écroule le dernier résiste. » C’est une première pour Aline. Autour d’elle, des Américains, des jeunes filles « paniquées qui pleurent », des Israéliens en vacances. Au bout de 25 minutes, chacun retourne à sa chambre.
Le lendemain, vendredi 13 juin, l’hôtel est comme vide. Elle regarde les informations en français et décide de se rapprocher de Tel-Aviv où se situe l’aéroport, même si elle sait déjà qu’il est fermé, et de l’ambassade de France. Un couple de Français en vacances accepte de l’y emmener en voiture. Arrivée sur place, elle ne peut pas rejoindre les personnes chez qui elle devait passer le shabbat (week-end) à 40 minutes de là, faute de trains. « J’étais un peu perdue et paniquée. »
Elle souhaite rapidement se mettre en sécurité, trouve un taxi et rejoint un hôtel sur la fameuse « Tayelet », « la promenade de l’Anse-Vata, mais à Tel-Aviv ». On lui suggère de télécharger l’application Home Front Command qui fournit alertes, instructions et informations vitales en temps réel en fonction de votre emplacement. La journée est calme, les riverains vont même à la plage. Chacun doit rester dans son pâté de maisons. Tous attendent des représailles la nuit.
Cette fois, le mamad est une pièce au sous-sol de l’hôtel. « On dispose de chaises, d’eau, de couvertures. » Les alertes se succèdent et ils entendent un missile tomber à 10 km, à Petah Tikva, tuant deux personnes. « L’impact direct du missile a perforé l’abri antiatomique, conçu pour résister à l’onde de choc des missiles balistiques ainsi qu’aux éclats d’obus, mais pas à un impact direct d’une ogive de cette taille », relate The Times of Israël.
Samedi 14 juin au matin, une journaliste française explique à Aline que l’ambassade de France est fermée jusqu’à lundi. Un message sur son site recommande de rester à l’abri. « Le numéro d’urgence ne répond pas, alors que les ambassades allemande et russe apportent des réponses à leurs ressortissants. » Aline s’impatiente : elle s’est fixé pour objectif d’être à Paris le vendredi suivant, 20 juin, pour passer des vacances avec son filleul et sa mère venus de Nouvelle-Calédonie, mais elle évoque surtout son besoin en médicaments, même si elle en dispose.
La journaliste lui assure qu’il n’y aura pas d’avion la semaine suivante, que la mise en place d’un corridor humanitaire est peu probable et que la seule issue est terrestre, soit par la Jordanie, mais l’aéroport est fermé, soit par l’Égypte en rejoignant l’aéroport de Charm el-Cheikh, dans le Sinaï. « Elle me dit que ça se fait et vu qu’elle est journaliste, j’ai tendance à la croire sur l’aspect sécuritaire. »
« SHE GOES TO EGYPT »
Le temps est long à Tel-Aviv. Les cuisines de l’hôtel sont fermées, les magasins aussi, sauf quelques petites épiceries. « Je ne fais pas de vrai repas. » La nuit, les alertes se font plus pressantes. De fatigue, Aline en rate une vers cinq heures du matin. « Ça a commencé à m’inquiéter. » Le lendemain, un réceptionniste russe, au courant de son projet, lui montre une femme : « She goes to Egypt tomorrow », « Elle part en Égypte demain ».
Armina est une Russo-Arménienne d’environ 45 ans, dentiste à Moscou, en voyage avec son fils Samuel de 13 ans. Son plan ? Rejoindre Eilat, à 7 km du poste-frontière égyptien de Taba, à Charm el-Cheikh. Elle a réservé un chauffeur pour 750 dollars US, ce serait 250 pour Aline.
La Calédonienne a regardé : des avions partent de cette ville vers Paris via Istanbul. Mais elle n’a pas de dollars. Son interlocutrice, si. « Elle me dit que comme les Russes ne peuvent payer nulle part avec leurs cartes Visa en raison des sanctions internationales, ils se baladent avec des liasses de dollars. » Aline essaye de convaincre un touriste allemand de les accompagner, sans succès. Elle pèse le pour et le contre, se dit que si Armina part avec son fils, c’est qu’elle « craint plus de rester que de partir ». Mais il y a aussi cette peur de se « prendre un missile » en traversant le désert à découvert.
Ce soir-là, « il y a une grosse alerte, très forte, on est une trentaine dans la pièce avec des enfants, des poussettes, ce n’est pas cool. Je me dis que c’est ma dernière nuit ici. Le quartier de Bat Yam, à 20 minutes de Tel-Aviv, est durement touché et nous ressentons les secousses jusque dans notre mamad ».
Le départ se fait le lendemain, à 9 heures. Le chauffeur, Ersh, est un Russe, ancien militaire à grosse barbe conduisant un énorme Toyota Highlander aux vitres teintées. « Il fait très mercenaire », se dit Aline. Elle lui demande comment procéder s’il y a une alerte, notamment pendant la traversée du désert (environ 2 h 15). Il répond : « Ce n’est pas un problème, tu sors de la voiture, tu t’allonges sur le sol, tu mets tes mains sur ta tête et tu attends ! ». Le désert, pense-t-il, est moins dangereux que les villes. Sur le trajet, elle est rassurée de voir des voitures, des camions. Elle informe ses amis en Nouvelle-Calédonie de sa situation. « Ils sont stressés, je dois faire attention à ce que cela ne m’affecte pas trop. »
À midi, le petit convoi s’arrête dans une station-service non loin de l’arrivée. Il y a foule. « Beaucoup d’Israéliens vont se réfugier à Eilat, à la limite entre l’Égypte et la Jordanie », explique-t-elle. Ils arrivent finalement à la frontière, « hyper contents ». Là encore, beaucoup de monde, des touristes, des familles, des « têtes blondes ».
Les trois compagnons de route se séparent de leur chauffeur. « Armina ouvre sa valise pleine de dollars et le paie. On fait des vidéos, des photos et on avance à pied. » Sous une chaleur écrasante, ils passent cinq ou six « checkpoints » d’une facilité déconcertante, malgré la « rudesse des gardes ». On apprend qu’Armina avait déjà envoyé les passeports, payé des gens de l’autre côté pour garantir le passage et venir les récupérer, payé un « bakchich » également pour bénéficier d’un coupe-file.
Le trio est en Égypte. « On a une navette entière pour nous. Ce sont en fait des agents touristiques reconvertis en passeurs pour l’occasion. » Ils proposeront même des arrêts pour prendre des photos des paysages. Le chauffeur a une conduite excessive, « on lui dit qu’on ne veut pas mourir là, après tout ça ». Mais ils arrivent plus tôt que prévu, en deux heures, à l’aéroport de Charm el-Cheikh.
Les difficultés se poursuivent : « Tout est fermé, il n’y a ni wifi, ni machine de retrait pour rembourser Armina, ni agence aérienne, ni stand d’information ». Décision est prise d’aller à l’hôtel. Mais chaque démarche nécessite une négociation et personne ne veut les laisser payer en livres locales. Aline veut prendre un billet d’avion en ligne, mais elle est confrontée à un problème connu des Calédoniens : elle n’a pas le forfait pour recevoir le code de sécurité bancaire par SMS. Elle est obligée de solliciter une amie afin qu’elle fasse la démarche pour elle.
Après s’être séparée de ses compagnons dans la soirée du dimanche 15 juin, Aline décolle le lendemain à 5 h 45. Épuisée, avec un mal de gorge carabiné, « probablement dû au stress ». Elle pose le pied le 16 juin à Paris, cinq jours après le début d’un périple exceptionnel. « Je n’ai pas vraiment réalisé, j’avais surtout peur de rester là-bas », répond celle qui a pu retrouver son filleul, comme promis. On s’interroge sur ce qui se cache derrière ce courage. « Mon père, né en Nouvelle-Calédonie, est un ancien militaire, et j’ai passé une grande partie de mon enfance en Afrique. J’ai fait un Paris-Dakar avec mes parents, mais c’est vrai que c’est une sacrée aventure cette fois-ci. »
À Nouméa, son amie Orit salue son courage. « Moi, en tant qu’Israélienne, je ne prendrais pas cette route. Et l’Égypte n’est pas hyper sécurisée alors qu’en Israël, il y a l’armée, une protection. D’ailleurs, on est plus fort quand on est en guerre, nous, les Israéliens. » Mais elle n’est pas trop surprise d’Aline, « c’est une combattante ». Quant au conflit en lui-même : « C’est la première fois qu’on vit une guerre comme celle-ci avec des missiles qui nous atteignent. »
Depuis cette aventure, Armina et Aline se sont promis de se revoir à Moscou et à Nouméa. À Paris, la Calédonienne suit les évolutions de près et conseille des compatriotes dans sa situation. De nombreux Français et Franco-Israéliens ont été coincés en Israël. La cellule de crise du Quai d’Orsay avait reçu, dimanche 22 juin, plus de 4 000 appels demandant une solution pour sortir du pays et un rapatriement. Des demandes encore plus pressantes avec l’entrée en guerre des États-Unis. Les premiers rapatriements ont commencé à bord d’avions militaires A400M. Il y avait 250 000 ressortissants français ou binationaux en Israël et 1 000 en Iran avant l’issue supposée du conflit mardi 24 juin.
Chloé Maingourd