La famille du père mariste Jean Gilibert a remis en juillet au musée du quai Branly – Jacques Chirac de Paris une collection exceptionnelle acquise au XIXe siècle dans le nord de la Nouvelle-Calédonie.
DNC : Un don de 63 objets est rare. En quoi la collection Jean Gilibert est-elle particulière ?
Emmanuel Kasarhérou : Sa singularité se lit dans la nature intacte de cette collection restée dans la famille Gilibert, dans l’Aubrac, depuis l’envoi des objets par le père missionnaire dans le dernier tiers du XIXe siècle. De plus, cette collection concerne la Nouvelle-Calédonie, et l’archipel de Belep en particulier, ce qui est rare. L’autre point intéressant réside dans le dialogue entre les objets collectés et les écrits du père mariste Jean Gilibert (1818-1891) qui, pour certains, éclairent les usages des objets et indiquent leurs noms en langue de Belep.
Pour le musée et ses équipes, c’est un don qui va non seulement enrichir les collections nationales, mais aussi les savoirs sur l’histoire de cette région. Nous sommes extrêmement reconnaissants envers la famille Gilibert dont le geste doit être salué.
Était-ce une collection connue dans le milieu muséal ?
Je connais cette collection grâce à des collègues de musée en région Auvergne-Rhône-Alpes qui m’avaient signalé son existence, sans pouvoir y accéder à l’époque, il y a une dizaine d’années environ. Certaines pièces de la collection avaient par ailleurs été exposées au musée des arts d’Afrique et d’Asie de Vichy, dans les années 2010.
Des objets sont-ils rares, exceptionnels, atypiques ou étranges ?
On signalera la présence d’une hache cérémonielle dont la lame est en coquillage tridacne (Tridacna gigas), ce qui est très rare dans les collections muséales comparativement à celles constituées d’une lame en néphrite-jadéite. On en identifie cinq dans le monde. Ce type de matériau est bien plus dur à travailler que la néphrite. Cette production de lame de tridacne serait davantage caractéristique de l’extrême nord de la Nouvelle-Calédonie, qui était éloigné des circuits d’échange des pierres vertes.
On peut aussi mentionner des paquets magiques pour lesquels le père Gilibert a inscrit leurs usages (pêche à la tortue, par exemple). Enfin, certains échantillons de matériaux seront également utiles pour l’identification et l’analyse scientifique des matériaux des objets kanak déjà conservés dans les musées.
Comment le musée du quai Branly – Jacques Chirac compte-t-il valoriser cette collection ?
Cette nouvelle acquisition sera bientôt visible sur la base de données en ligne du musée et accessible à tous. Dans le cadre des études de provenance que mène le musée, nous allons effectuer un travail de recoupement entre les objets, les écrits du père Gilibert et ceux du père mariste Pierre Lambert qui publia en 1900 la première étude ethnologique sur les Kanak. Le père Lambert a fondé la mission Wala sur l’île Aar à Belep. Il avait accueilli le père Gilibert et l’avait probablement initié à la langue et aux usages avant que celui-ci ne soit appelé à fonder une mission sur l’île de Phwoc, au lieu-dit Mwan, à Belep.
La documentation associée contient-elle des informations nouvelles ou intéressantes sur le plan historique ?
Le travail reste à approfondir sur le volet de la documentation, car les écrits produits par le père Gilibert sont conséquents : huit cahiers et 166 lettres à sa famille sont conservés aujourd’hui [les originaux ont été remis aux archives du diocèse de Saint-Flour]. Les informations contenues sont a priori précieuses pour documenter cette région de Belep où il a passé près de 10 ans, région peu étudiée par ailleurs. Encore une fois, c’est une collection passionnante qui pourrait susciter l’intérêt de chercheurs.
Propos recueillis par Yann Mainguet
Un choix de lettres a été publié par une descendante du père, et le livre peut être trouvé à Nouméa : Gondal, Marie-Louise. 2007. Un voyage sans retour : de l’Aubrac à la Nouvelle-Calédonie / Journal de Jean Gilibert (1818-1891), Missionnaire mariste chez les Kanak, de 1858 à 1891. s.l. : Éd. CEPAC (Conférence Épiscopale du Pacifique), 2007. p.538
UNE VIE DE MISSIONNAIRE
Jean Gilibert est né le 12 mai 1818 dans l’Aubrac en Métropole, cinquième enfant de parents cultivateurs. Le père mariste aborde la Nouvelle-Calédonie le 2 décembre 1858, en face de la mission de La Conception, où le religieux s’éteindra d’ailleurs le 31 mars 1891. Entre ces deux dates, Jean Gilibert exerce à la station de Tiwaka, à Arama, à la presqu’île Ducos, à Bourail, à l’île des Pins, ou encore aux Belep.