L’annonce du président de la République, Emmanuel Macron, de dissoudre l’Assemblée nationale a un écho particulier en Nouvelle-Calédonie, à l’heure d’émeutes et de tentatives de discussions politiques.
◊ LA LOI « SUSPENDUE »
La dissolution de l’Assemblée nationale, prononcée par le président de la République Emmanuel Macron lundi au petit matin heure de Nouméa, condamnait-elle ou non le projet de loi constitutionnelle polémique sur le dégel du corps électoral provincial ? Il y avait débat entre juristes sur ce cas inédit.
À l’heure du bouclage de notre édition, mercredi soir, le chef de l’État a coupé court à toutes les analyses en annonçant, lors d’une conférence de presse à Paris, la suspension du processus législatif. « Parce que l’on ne peut pas laisser l’ambiguïté dans la période. Il faut le suspendre, pour donner toute sa force au dialogue sur place et au retour à l’ordre » a indiqué le locataire de l’Élysée.
Cette décision intervient alors que les trois hauts fonctionnaires de la mission du dialogue sont arrivés en fin de semaine dernière dans la capitale pour présenter un premier bilan des échanges avec les politiques locaux – sauf les représentants du FLNKS – programmés à partir du 24 mai.
De la maire Renaissance de Nouméa, Sonia Lagarde, et du président du gouvernement, Louis Mapou, à Philippe Gomès de Calédonie ensemble, beaucoup réclamaient « une pause » ou « le retrait » du texte. En premier lieu, la CCAT exigeait son abandon. Seuls Sonia Backès et Nicolas Metzdorf voulaient poursuivre le processus vers le Congrès de Versailles.
Emmanuel Macron espère, par son choix, la levée des barrages, et un début de discussions. Vu le calendrier des élections législatives, cette suspension équivaut à une fin du projet voté au Sénat et à l’Assemblée nationale.
◊ AIDES DÉCALÉES ?
Les dégâts auprès des entreprises sont estimés, à ce stade, entre 150 et 170 milliards de francs. Les sociétés encore debout déplorent une perte d’exploitation conséquente. Des dirigeants, comme Xavier Benoist, président de la Fédération des industries de Nouvelle- Calédonie, redoutent que la dissolution retarde le versement des premières aides de l’État. Ce décalage pourrait déboucher « très rapidement » sur « une crise sociale » d’ampleur.
◊ RADICALITÉ
La formation Le Rassemblement-LR empruntera-t-elle la voie brusquement ouverte mardi à Paris par Éric Ciotti, président des Républicains ? Celle de s’allier avec le parti d’extrême droite, le Rassemblement national, en vue des élections législatives anticipées ? Le relais local du LR présidé par Alcide Ponga, qui a toujours observé une indépendance vis-à-vis du mouvement politique national, n’a pas souhaité, mercredi, faire de commentaire à ce stade.
Le RN n’est d’ordinaire pas très loin. Puisque Guy-Olivier Cuénot, délégué territorial du Rassemblement national, siège au Congrès dans le groupe politique Rassemblement dont la présidente Virginie Ruffenach est issue de la formation appelée autrefois RPCR, puis RUMP. Une telle association locale pour la députation aurait une incidence énorme sur l’esprit originel du parti loyaliste historique de Nouvelle-Calédonie.
La teneur des discours en Métropole et surtout les événements dramatiques du mois dernier à Nouméa et dans sa périphérie pourraient encourager les candidats à engager une campagne électorale radicale, tant du côté non indépendantiste qu’indépendantiste. Une réelle crainte pour la construction sereine du débat public.
◊ CARTES LOYALISTES REBATTUES
Le ticket gagnant des élections législatives 2022 était glissé dans la « Maison commune calédonienne de la majorité présidentielle », selon l’expression de l’époque. Deux candidats présentés, deux victoires. Dans la première circonscription, le député sortant Philippe Dunoyer, membre de Calédonie ensemble, était associé à Naïa Wateou, sa suppléante, élue au Congrès sous l’étiquette Les Loyalistes. Dans la deuxième zone, un autre conseiller Les Loyalistes, Nicolas Metzdorf, alors maire de La Foa, concourrait avec un collègue du même mouvement, Willy Gatuhau, de Païta.
Cette alliance entre les deux partis est aujourd’hui impossible tant les écarts de personnalités ou de gestion des dossiers sont nombreux. Philippe Dunoyer est par exemple favorable au retrait de la loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial, alors que Nicolas Metzdorf veut maintenir la procédure. Ces élections législatives vont donc rebattre les cartes au sein de la mouvance loyaliste, au point de susciter certainement une multiplication de candidatures, des lignes modérées aux plus dures.
◊ QUI ?
Philippe Dunoyer, député Renaissance et cadre de Calédonie ensemble, a d’ores et déjà annoncé son intention de repartir dans la course. Qu’en sera-t-il de Nicolas Metzdorf qui peut endurer un combat plus difficile qu’en 2022 dans la seconde circonscription ? Des noms de responsables économiques sont en outre entendus. Des indépendantistes souhaiteraient proposer des candidatures uniques associant les tendances FLNKS et nationalistes. Le congrès du Front, prévu à Koné samedi 15 juin, doit affiner la position.
◊ ACCORD GLOBAL
Promues par la mission du dialogue installée à Nouméa par le président de la République jeudi 23 mai, les discussions en vue de la construction d’un accord global sur l’avenir institutionnel sont au point mort. La rencontre officielle entre le FLNKS et les trois hauts fonctionnaires n’a pas encore eu lieu. Ces échanges essentiels sont de toute façon mis entre parenthèses, le temps de la campagne électorale. Des interlocuteurs, comme les députés, pourraient d’ailleurs changer autour de la table. Le calendrier d’Emmanuel Macron est dorénavant corrigé. Le projet d’accord global, repoussé.
Yann Mainguet