La deuxième commune la plus peuplée de Nouvelle-Calédonie, étendue sur 255 km2, avec une place centrale dans le Grand Nouméa, a connu un développement inédit ces dernières décennies, en particulier sur sa partie urbaine. Elle a payé le prix fort des émeutes.
Une commune jeune et en plein développement, oui mais… cumulant aussi les logements sociaux, accueillant des populations fragiles économiquement, une zone industrielle – cible première de ces émeutes- et l’hôpital du territoire. Les Calédoniens qui n’ont pas encore foulé Dumbéa depuis les exactions ne peuvent imaginer les dégâts. La ville est anéantie. Le maire Yoann Lecourieux parle d’un « massacre ».
ENVOLÉS
Le premier bilan ‒ non exhaustif ‒ est terrifiant. La ville a perdu toute la plateforme de Carrefour ‒ elle représentait plus de 1 000 emplois ‒, tous les commerces et services à partir du Dumbéa Mall jusqu’au Médipôle, le centre historique d’Auteuil (pâtisserie Chantilly, Vival, Studio 56, etc.) et la quasi-totalité d’Apogoti où il reste un ou deux commerces. Envolées, également, la moitié des stations essence soit trois sur six.
La municipalité recense cinq établissements scolaires partiellement vandalisés. « On doit leur sauvegarde aux parents qui les ont gardés ou les gardent encore la nuit », explique Jean-Dominique Pinçon, directeur de cabinet du maire. Heureusement, seules les salles administratives ont été touchées, avec une interrogation sur l’école de Greslan où l’accès est entravé.
On peut aussi ajouter l’incendie du restaurant de la piscine de Koutio ou encore d’une partie de la mairie. Deux cocktails Molotov ont détruit huit bureaux et autant de voitures alors qu’elle n’était pas encore sécurisée. « À ce moment-là, indique le maire, on s’est postés ici nuit et jour jusqu’à l’arrivée permanente de gendarmes. »
La mairie, la médiathèque (qui a failli brûler lundi soir 3 juin), le lycée du Grand Nouméa, le Dumbéa Mall, le Médipôle… sont épargnés. La seule zone préservée est la partie nord, protégée depuis le début par les voisins vigilants. Yoann Lecourieux évoque aussi une demi-douzaine d’habitations détruites ou brûlées.
Dumbéa a aussi ses blessés : un par balle lors de l’altercation sur la route du Médipôle entre émeutiers et policiers en civil, un autre lors d’un échange de tirs avec le GIGN, ou encore le gendarme qui s’est empalé cette semaine en tombant dans une bouche d’égout piégée. La municipalité parle aussi de victimes indirectes du conflit, d’accidents, de malades qui n’ont pu suivre leur traitement ou être soignés.
« UNE SOCIÉTÉ QUI CRAQUE DE TOUS LES CÔTÉS »
Lundi 3 juin, la journée s’est encore déroulée au son des déflagrations. Tous les accès étaient à nouveau entravés. Un coup extrêmement dur pour les populations, comme celles de la pointe à la Dorade (environ 900 personnes) enfermées depuis trois semaines, qui avaient pu sortir durant le week-end. Douche froide aussi pour les habitants de Auteuil-Normandie d’où les émeutiers avaient été délogés la veille.
À la mairie, les gens, démunis, appellent en permanence pour savoir quand auront lieu les interventions, quand ils pourront faire des courses. Les magasins et les stations restantes sont alimentés. Les cas les plus difficiles sont gérés avec la banque alimentaire, la Nouvelle-Calédonie. La province a aussi fait venir un petit bateau sur la Dorade.
Thomas, habitant de Koutio, se remet à peine de la « sidération ». « C’est la première fois de ma vie que j’ai craint pour ma famille. J’ai mon enfant de six ans qui vit au bruit des détonations, des grenades, c’était encore le cas ce matin [mercredi 5 juin, Ndlr] et ça me désespère. » Reconnaissant la « chance » de pouvoir télétravailler, il parle d’une vie « au jour le jour », évoque la « tristesse de voir toutes les destructions autour de nous, une société craquer de tous les côtés ».
Il retient la solidarité qui s’est mise en place avec son voisinage, notamment pour recenser les besoins de chacun. « Nous avons notamment deux dames assez âgées qui vivent seules, donc nous sommes attentifs. » À cette réalité d’une entente entre toutes les ethnies, porteuse d’espoir, il oppose sa « colère » envers les élus de tous bords confondus, « totalement discrédités ». Selon lui, l’avenir passera par les citoyens.
Chantilly, une institution
La boulangerie-pâtisserie Chantilly a d’abord été pillée. « Nous avons voulu arrêter les personnes qui sont venues se servir. Ils étaient jeunes, cagoulés. On n’a pas pu, donc on leur a dit de se servir mais de ne rien brûler », raconte Paula, chef d’équipe. L’enseigne est partie en fumée le soir même. « Je suis effondrée. » Chantilly, c’est 25 employés et, pour elle, « une deuxième maison » où elle travaille depuis 17 ans. C’est aussi un héritage. « J’ai connu les premiers patrons. Leur fille s’est battue pour reprendre la société », dit-elle la gorge nouée. Elle rend hommage à leur générosité. « On donnait tout le temps les restes, on évitait le gaspillage. Pour les fêtes, on donnait aux forces de l’ordre, aux pompiers “parce qu’ils nous protègent”, à la maison de retraite aussi. »
Une institution de Dumbéa « qui aurait pu fournir actuellement le pain aux habitants qui sont parfois obligés d’aller à Nouméa pour en trouver ». Paula ressent une « désolation pour le pays ». « Les politiques s’affrontent et on subit cela des deux côtés. » Elle tente de garder la tête froide. Mais elle est en instance de divorce, mère de quatre enfants encore étudiants, avec un crédit pour la maison. Elle s’inquiète de « retrouver du travail à 40 ans », de leur fournir un toit…
Chloé Maingourd