Dr Benjamin Goodfellow : « Il faudrait un programme de prévention du suicide »

Le docteur Benjamin Goodfellow a coordonné l’enquête START-OMS en Nouvelle-Calédonie. Les résultats ont été rendus publics en mars 2019. / © CHS

Les résultats du baromètre santé soulignent le risque suicidaire. Le docteur Benjamin Goodfellow, spécialiste du sujet au CHS, s’y était déjà intéressé dans une enquête menée en 2019. Il plaide pour la mise en place d’un observatoire dédié et d’une véritable politique.

DNC : Les chiffres sur le suicide sont-ils inquiétants ou alarmants ?

Dr Benjamin Goodfellow : Je ne dirais pas qu’ils sont alarmants. Le taux de décès par suicide a peu varié d’une année sur l’autre. Il reste à peu près stable, aux alentours de 15 pour 100 000 habitants par an, soit une quarantaine de suicides.

C’est au-dessus des chiffres métropolitains (aux alentours de 13 pour 100 000 habitants par an), parce que la France a mis en œuvre un programme intégré de prévention suicide qui, à ce jour, fait défaut à la Nouvelle- Calédonie.

Les facteurs principaux sont la santé mentale et les conflits sévères, et parfois violents, au sein du couple.


Qu’est-ce qui pousse à commettre cet acte désespéré ?

Des enquêtes, comme START-OMS, peuvent mettre en lumière des facteurs de risque qui suggèrent si ce ne sont des causes, au moins des leviers qui peuvent permettre des actions de prévention à l’échelle d’un territoire.

Publiée en 2019, l’enquête START-OMS s’intéressait aux facteurs des décès par suicide. Les facteurs principaux sont la santé mentale (62 % des personnes décédées souffrant d’un trouble psychique) et les conflits sévères, et parfois violents, au sein du couple (60 % des personnes).

Ces résultats, assez inhabituels dans le monde, interrogent sur la place de la violence au sein du couple et peut-être dans les rapports de genre en Nouvelle-Calédonie. La place de la santé mentale est certes importante, mais elle l’est en proportion moins que dans d’autres pays dits industrialisés. La part sociale est proportionnellement plus présente qu’ailleurs.

Quelles sont les différences observées entre les sexes ou les communautés ?

Les hommes décèdent trois fois plus par suicide que les femmes. De ce que nous savons, et nous ne savons pas tout, les femmes ont plus de comportements suicidaires non fatals.

Concernant les communautés, nous avons divisé notre échantillon en deux. La différence la plus parlante est celle de la répartition en âge.

Les Kanak se suicident plus jeunes (15-25 ans) que les non Kanak (40 ans). Leurs passages à l’acte ne sont souvent précédés d’aucun signe annonciateur. Ceci questionne de façon importante la méthodologie à adopter pour prévenir le suicide dans ces groupes.

Les hommes décèdent trois fois plus par suicide que les femmes.


Quels changements ont été constatés avec la crise sanitaire et les confinements ?

Je ne pourrais malheureusement pas vous en dire grand-chose, car je n’ai pas enquêté pendant cette période. Il est d’ailleurs peut-être regrettable qu’on n’ait pas eu un observatoire du suicide. Il serait intéressant à des niveaux divers d’en mettre un en place.

Que faudrait-il faire pour inverser la tendance ?

Il faudrait un programme intégré de prévention du suicide, acté au niveau politique et ciblant tous les niveaux identifiés comme facteurs de risque dans les travaux scientifiques menés jusqu’à présent. Idéalement, ce programme devrait être articulé avec un plan de santé mentale adapté au territoire. Un véritable système de psychiatrie communautaire, intégré à la communauté, pourrait également jouer un rôle considérable.

Trouver un interlocuteur est en général un bien moindre problème.


Un autre fait important est qu’un décès sur trois a été provoqué par une arme à feu, alors que de nombreuses enquêtes ont montré que des gestes simples, comme mettre l’arme sous clef, sauvent des vies.

Et pour les personnes souffrant d’idées suicidaires, comment peuvent-elles s’en sortir ?

Parler de ses idées suicidaires est une première étape trop souvent négligée, ne serait-ce qu’avec ses proches, un médecin, un infirmier, un psychologue, etc. La honte attachée aux soins psychiatriques est un obstacle considérable. Trouver un interlocuteur est en général un bien moindre problème.

Propos recueillis par Brice Bacquet