Avec les forces de sécurité intérieures, la justice contribue au rétablissement de l’ordre public. Le tribunal de Nouméa a reçu des renforts pour traiter une très importante quantité d’affaires, allant du simple vol d’opportunité à l’organisation des événements « insurrectionnels ». Notre entretien avec le procureur de la République.
DNC : Comment le tribunal s’organise-t-il pour gérer une telle crise ?
Yves Dupas : Le tribunal de première instance agit et s’organise à la hauteur des enjeux dans ces moments graves. Avec une priorité donnée à l’activité pénale, qui s’intensifie. Les premiers jours, nous traitions les faits à chaud. Désormais, le traitement judiciaire s’appuie sur des procédures de faits constatés il y a quelques jours, c’est tout ce travail d’enquête qui se met en place. La question du recensement des plaintes est majeure, notamment pour ceux qui ont vu leurs biens détruits par incendie. Il y a des mesures de dépôt de plainte en ligne avec la gendarmerie et la police. Nous bénéficierons au total d’un renfort de cinq magistrats, cinq greffiers, et nous avons plus de 60 officiers de police judiciaire de Métropole. C’est essentiel.
Quelle politique appliquez-vous selon les exactions ?
La politique pénale est claire. C’est de la fermeté pour les violences sur les forces de l’ordre avec une comparution immédiate, même en l’absence d’antécédents. Même chose pour les attroupements armés, les dégradations par incendie ou par moyens dangereux, les atteintes aux personnes, vols ou recels de vols volumineux.
On a ainsi obtenu des peines fermes pour des auteurs de pillages. On a également des vols d’opportunité d’une gravité relative, avec parfois une composition pénale assortie d’un travail non rémunéré. L’idée est que le parquet décline une proportionnalité par rapport à la gravité des faits, l’étendue des préjudices et la personnalité des auteurs. Notre politique est ferme et empreinte de discernement.
Quelles sont les peines encourues ?
Un vol, c’est une peine de trois ans. Des faits de vol aggravés avec différentes circonstances peuvent aller jusqu’à dix ans. Pour la dégradation par incendie, c’est dix ans. Les faits de vols en bande organisée sont criminels avec 15 ans de réclusion encourue et 20 ans s’ils interviennent avec des violences. Pour l’assassinat d’un gendarme, c’est la réclusion criminelle à perpétuité.
Où en est l’enquête sur les donneurs d’ordre ?
Une enquête préliminaire a été ouverte sur des faits visant les commanditaires présumés. Il y avait très clairement une organisation, une planification, une logistique.
Est-ce que vous pensez que ces actions étaient prévues depuis longtemps ?
Je ne peux pas vous répondre.
Les observateurs ne sont pas d’accord sur la façon de qualifier ce mouvement. Quel est-il selon vous ?
C’est un mouvement insurrectionnel animé par une radicalisation violente sur fond identitaire. Il a d’abord visé des axes de circulation stratégiques, la capitale, les communes limitrophes et les structures économiques.
Était-ce, quelque part, une action contre un « système » , comme on l’a entendu ?
C’est un peu trop tôt pour le confirmer. Mais ces exactions ont été planifiées avec des objectifs ciblés pour déstabiliser l’agglomération, plusieurs services de l’État, la gendarmerie, des bâtiments communaux et puis la vie économique.
Des analyses toxicologiques sont menées. Sur quelles bases ?
Une information nous a été communiquée sur une prise d’alcool associée à des produits médicamenteux ou stupéfiants remis notamment aux jeunes pour tenir un certain nombre de barrages. Nous avons ordonné des expertises toxicologiques pour vérifier cette information qui n’est, à ce stade, pas confirmée.
Des armes venaient-elles de l’extérieur ?
Pour l’instant, je n’ai aucun élément pour le confirmer.
Est-ce que des plaintes ont été déposées pour des actes racistes ?
Nous avons sur les réseaux sociaux des appels à la haine et des échanges virulents. Dans certaines procédures, des propos rapportés font référence à l’appartenance à telle ou telle communauté. Bien sûr, ce sont des éléments que nous prenons en compte dans les qualifications pénales retenues, mais ce n’est pas forcément l’essentiel.
Quelles solutions pour les places en prison ?
Le centre pénitentiaire a fait l’objet d’opérations de transfert de détenus vers le centre de Koné et la Métropole. La capacité d’accueil a été réduite notamment suite à des mouvements collectifs accompagnés de dégradations. Bien sûr les faits les plus graves conduisent à une incarcération.
La justice subit-elle une forme de pression, politique ou sociale, pour les réponses qu’elle peut apporter ?
Le ministère public ne subit pas de pression, je tiens à le dire très clairement. Il déploie, avec ses moyens, l’ensemble de ses missions, comme nous l’avons fait dans d’autres périodes compliquées par exemple les exactions de Prony. Notre action nous semble cohérente, légitime et nous n’avons pas besoin de sollicitations particulières : c’est le rôle du ministère public de traiter toutes les procédures.
C’est notre responsabilité de procéder à cet engagement pour répondre d’abord aux attentes légitimes des victimes et nous mettons tout en œuvre pour élucider l’ensemble des faits constatés ou dénoncés suite à une plainte. Le niveau de charge est juste bien plus élevé.
Les autres affaires ont été mises en attente ?
Non, nous gérons l’urgence, le traitement judiciaire lié aux émeutes, mais des décisions sont intervenues dans d’autres contentieux comme des violences intrafamiliales.
Propos recueillis par Chloé Maingourd
Les chiffres (au 28 mai)
Des émeutiers âgés de 17 à 35-40 ans.
460 interpellations dont 52 de mineurs (environ 11,5 %).
442 mesures de garde à vue (264 pour atteintes aux biens, 72 pour violences sur les forces de l’ordre, 52 pour violences sur civils).
75 déferrements à l’issue des gardes à vue (présentation au parquet).
44 incarcérations.
90 convocations à l’audience (hors comparutions immédiates) au tribunal correctionnel ou tribunal pour enfants.
Une policière donnait des renseignements
Le procureur de la République a confirmé mardi 29 mai au journal de NC La 1ère qu’une adjointe de sécurité (Police aux frontières) est soupçonnée d’avoir renseigné des émeutiers. L’information avait été rendue publique par La Voix du Caillou, puis RRB. La policière aurait communiqué à son compagnon des données sensibles, notamment sur le dispositif des forces de l’ordre et le déplacement du président de la République.
Cet homme a été placé en détention provisoire. II est poursuivi pour avoir tenu des barrages et participé à des attroupements armés et le pillage d’un commerce. La policière a été placée sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer et devra répondre de ses actes (violation du secret professionnel), le 14 juin. Yves Dupas évoque « une faute grave ».
Un fait de violence à la police municipale
Le parquet a ouvert une enquête à l’encontre d’agents de la police municipale de Nouméa, menée par la direction territoriale de la police nationale. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux présente un membre des forces de sécurité porter un violent coup de pied à la tête d’une personne, en position assise sur le sol, venant d’être interpellée.
Elle a été authentifiée. Les faits se sont déroulés dans la nuit du 25 au 26 mai au 6e kilomètre, à l’issue de l’arrestation de plusieurs auteurs d’une tentative de vol. Trois agents sont mis en cause pour violence par personne dépositaire de l’autorité publique et non-assistance à personne en péril. La direction de la police municipale a elle-même adressé un signalement au procureur de la République.
« Cette procédure sera traitée avec toute la rigueur attendue », promet Yves Dupas qui rappelle qu’il s’agit de la première sur ce type de fait « qui ne doit pas venir ternir le professionnalisme et la grande maîtrise des forces de l’ordre dans la gestion difficile des opérations ».