Les demandes de sécurisation des entreprises et des domiciles ont augmenté après les émeutes. Les spécialistes se sont adaptés, tout en mettant en garde contre des dérives.
Les émeutes et la sécurité, deux mots indissociables pour Vincent Vaccarezza. Il a repris en avril l’entreprise Clôture Design. En mai, son dock à Ducos a échappé de peu à un incendie qui a totalement détruit deux bâtiments voisins. Mais c’est surtout son activité qui a été chamboulée. Sa société est spécialisée dans l’aménage- ment extérieur, clôture ou deck. « Quand il y a eu les émeutes, on avait des piques en stock, ce qui n’était plus le cas de grand monde. On les avait depuis un petit moment, on n’en vendait que de temps en temps », se rappelle l’entrepreneur. La demande a explosé. Aujourd’hui, la pose de piques et de grilles de sécurisation constitue la moitié de son activité.
Mathieu Morichon d’Optimiz NC a également vécu ce changement. Son entreprise œuvre dans le secteur de la métallerie, la soudure et la serrurerie. « Depuis les événements, nous avons été amenés à répondre à des marchés de sécurisation dans l’urgence, souligne le gérant. Depuis le mois de mai, c’est ce qui a pris la plus grande part. » L’entrepreneur a même constaté « un effet collatéral » : « il y a énormément de demande de clôtures, qui ont été endommagées ou prises pour faire des barrages, notamment chez les bailleurs sociaux ».
TOLÉRANCE
Cette évolution du marché, Julien Scherpereel et Romain Agosti l’ont bien sentie. Le premier est expert de l’import et le second de la sécurité́ et de la prévention. En juillet, ils ont créé Securetech NC. « On a cherché des produits qu’il n’y avait pas ailleurs », explique Julien Scherpereel. « J’ai regardé ce qui se fait au Brésil et en Afrique du Sud, complète Romain Agosti. Ils ont dix ans d’avance en matière de sécurité. » Ils ont décidé de proposer des films antieffraction, qui consolident les vitres et retardent l’infraction. Cette réorientation les a contraints à aller se former en Australie, car « la pose est très compliquée ».
Un souci de formation que ne partagent pas toutes les sociétés de la place. « Il y a eu un phénomène où plein de gens ont créé leur entreprise et font un peu n’importe quoi », observe un spécialiste de la pose d’alarme et de vidéosurveillance, qui souhaite rester anonyme. « Il y a eu un effet d’opportunisme. Des fois, on repasse derrière, on voit que ce ne sont pas des professionnels. » Plusieurs experts le constatent et le regrettent. Des enseignes commerciales se sont saisies aussi du phénomène. Des publicités de quincaillerie ou de boutique d’électroménager sont apparues pour proposer des caméras de surveillance ou des barbelés ronce concertina, munis de lames tranchantes.
Des matériaux pourtant réglementés. La province Sud a ainsi une liste bien précise de prestations et de matériels qui sont éligibles pour l’obtention d’une aide à la sécurisation des entreprises, un dispositif voté en 2018 et mis en œuvre jusqu’au 1er janvier 2026.
Le plan d’urbanisme directeur (PUD) de Nouméa est clair sur le sujet concernant les clôtures, qui ne doivent pas dépasser deux mètres : « l’usage exclusif de couleurs primaires (rouge, bleu et jaune) est interdit, ainsi que l’emploi de fil de fer barbelé, sauf autorisation explicite dans les règlements de zones ». Mais depuis le 13 mai, les règles se sont assouplies. « J’ai demandé à la police, elle m’a dit qu’elle ne va pas trop s’embêter avec ça », reconnaît un professionnel agréé. Pour autant, il prévient sa clientèle que leur responsabilité civile peut être engagée si leur installation est à l’origine d’un accident.
UNE BAISSE DE LA DEMANDE
Actuellement, plusieurs professionnels notent une baisse de la demande. « Le phénomène de peur est parti », estime Julien Scherpereel. Les experts notent aussi les difficultés financières de leur clientèle, qui repoussent leurs projets. Alors, les entreprises de sécurisation s’adaptent à nouveau. Romain Agosti envisage ainsi un autre marché : « on va se lancer dans les films pour les vitres de voiture ».
À moyen et long terme, les émeutes devraient aussi avoir un effet sur les plans des nouveaux bâtiments. « Quand le BTP va reprendre, les reconstructions se feront avec un souci de sécurisation », estime Mathieu Morichon. Un nouveau paradigme que devront prendre en compte les spécialistes et les institutions.
Lors d’un rendez-vous de l’économie organisé par la CCI le 21 novembre sur le thème « comment sécuriser son entreprise et son local commercial », Jean-Gaël Granero, le secrétaire général de la mairie de Nouméa, est intervenu sur le plan d’urbanisme directeur : « On a lancé une modification de notre PUD, mais ça va mettre du temps ». Une harmonisation entre le souhait de sécurisation des particuliers et des entreprises, l’activité des professionnels, les contraintes budgétaires des collectivités et la législation s’avère nécessaire.
Fabien Dubedout