Les sites miniers de la SLN étaient déjà bloqués en raison d’une complication autour des travaux de réfection de la route de la Mission, en avril. Le 13 mai est arrivé, suivi du décès d’un jeune le 15 août et de l’incendie des installations de l’industriel. Une reprise de l’activité est espérée d’ici deux ans.
La situation est inédite. « C’est la première fois que quelque chose comme ça se passe à Thio », relève un employé de la SLN. En plus d’un siècle, les mines ont déjà été bloquées ou connu des arrêts temporaires. Ce fut le cas pendant les Événements. Cette fois, la suspension est prononcée « sans perspective de reprise », annonce l’industriel. Et la période est source de tension dans le village et les tribus alentours.
« La SLN, c’est la famille de cœur, on a grandi ensemble. Quand il y a eu 1984, les vieux n’ont pas saccagé la mine », témoigne un employé. Quarante ans plus tard, elle est devenue la cible. Des salariés ont été menacés par les émeutiers, dont des collègues. « La SLN, pour eux, c’est l’État avec Eramet, donc ils estiment qu’on défend l’État. Ce qu’ils ont oublié, c’est qu’ils ont tous mangé dans la main de la SLN quelque part. »
Pour autant, ces partisans reconnaissent que la société « a ses torts. Nous ne sommes pas d’accord à 100 %. En 30 ans de service, j’ai connu peut-être deux à trois ans de grève cumulés, il y avait déjà un malaise en interne. » Mais si « une minorité » veut voir partir la SLN, la plupart entend sauver le centre minier. « Elle nous fait vivre, c’est notre gagne-pain. C’est grâce à elle ce qu’on est devenu, on ne va pas cracher dans la soupe. »
REVOIR LES MODALITÉS D’EXPLOITATION
Actuellement en chômage partiel, les salariés vont bientôt passer en chômage total exaction. Les lettres de rupture de contrat sont en cours d’envoi jusqu’au 13 décembre. « Les gens commencent à réaliser. Comment ils vont payer la traite de leur maison, de leur voiture, l’internat des enfants, etc. » Et la nourriture. « Cela va être une catastrophe, j’ai dit au maire de préparer les bons alimentaires », rapporte cette salariée.
Certains de ses collègues ont quitté la ville, demandant une mutation en interne. La senior a choisi le licenciement. « Demeurer ici, c’est montrer qu’on est de Thio. On n’est pas là que pour le travail, on y vit. »
L’espoir réside maintenant dans un potentiel retour. Le départ n’est pas définitif. Le site revêt une importance capitale à plusieurs titres : historique, économique et industrielle. Près de 20 % du minerai traité à l’usine de Doniambo provient de Thio. Et il est stratégique, parce qu’il équilibre l’acidité des fours. Mais dans quelles conditions ? C’est là toute la question. Car cela ne pourra pas se faire selon les mêmes modalités. Le fond du problème ? « Thio bénéficie peu des retombées économiques minières. Nous sommes traités comme une autre commune alors que nous subissons les répercussions négatives de la mine. » Et il faut trouver un équilibre « pour que tout le monde puisse profiter de la richesse du nickel », poursuit le maire, Jean-Patrick Toura.
Le constat est partagé par ce salarié. Les habitants doivent avant tout accepter le redémarrage. « La SLN d’hier, c’est fini, le résultat est là. Il faut une nouvelle vision, une sorte d’accord entre l’industriel et la population pour qu’elle se reconnaisse dans la SLN. On est dessus. »
« L’AMOUR DE SON CAMION »
Vu les dommages subis par l’industriel, l’activité ne paraît pas envisageable avant au moins un an, si ce n’est deux. « Il faut refinancer les outils de production et revoir les conditions sociales », précise Jean-Patrick Toura. D’après l’édile, une réunion était prévue avec la direction cette semaine. Nous avons rencontré les délégués syndicaux, ils veulent être sûrs que ça reprenne. »
Roger Richmond n’attend que ça. Pouvoir à nouveau transporter du minerai dans son camion. De l’autre côté de la RP4, à quelques centaines de mètres de Boulouparis, où il habite depuis les Événements, le président du syndicat des rouleurs prend son mal en patience. Depuis le mois d’avril, son camion est stationné dans son jardin. Un déchirement. « Je suis né et j’ai grandi dedans avec mon père », se souvient-t-il. Un demi-siècle plus tard, Roger Richmond a délaissé son véhicule. « J’ai posé le camion et je ne l’ai plus touché, je n’ai plus le courage. Avant, j’étais dessus tous les week-ends. C’est démoralisant. » De quoi contrarier ses projets, lui qui, à 66 ans, planifiait sa retraite dans quelques années. Sa femme, Christiane, en a le cœur brisé. « Il a toujours fait ça, c’est l’amour de son camion. »
Les anciens pensent aussi à leurs successeurs. Un salarié s’inquiète pour demain. « Il y a les enfants qui viennent derrière nous. Moi, je suis la 3e génération à la SLN, mon grand- père, mon père y travaillaient, mais il y a la 4e et la 5e. » Cette histoire de famille, beaucoup souhaitent la faire perdurer pendant encore de nombreuses générations.
Anne-Claire Pophillat