[DOSSIER] Un mouvement et plusieurs identités

Le rappeur Awaii a sorti son premier album de rap « Mal Acquis », en 2024. Nom qu’il a également donné à un spectacle vivant, mêlant théâtre, slam et danse. (©Ville de Dumbéa)

Partout dans le monde, le rap s’est nourri des particularités locales où il a été diffusé. Phénomène qui ne fait pas exception en Nouvelle-Calédonie.

  • DES RAPS

Rap conscient, drill, rap trap, boom bap… Non cantonné à un seul courant, les rappeurs calédoniens évoluent pour la plupart dans plusieurs styles. « Ils peuvent aussi bien écrire un morceau lo-fi qu’un morceau drill le lendemain en étant énervés et un son romantique le surlendemain », explique PaBlöW Barri.

  • ENTRE POLITIQUE ET PROBLÈMES DU QUOTIDIEN

Les thèmes abordés sont divers. Si la flamme amoureuse est parfois abordée, la situation politique du territoire inspire aussi bon nombre d’artistes. Dans son album « Mal Acquis », le rappeur Awaii évoque avec son titre « Accords » l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et la question du oui et du non à l’indépendance. « J’ai aussi voulu faire un jeu de mots avec les accords musicaux qui, parfois, nous aident à trouver une certaine paix. Dans le refrain, je dis : « raconter la vie sous mélodie ça paraît moins hostile ». C’est une façon de se demander si, en faisant passer ces messages à travers la musique, les gens ne nous écouteraient pas davantage », explique celui-ci.

Le rap est aussi une manière de mettre en évidence des problématiques sociales. C’est le cas, par exemple, avec le morceau « Générations », de l’artiste Chavi, qui traite de la vie dans les quartiers populaires, ou du featuring entre Nasty & ReZa, « Désaccords communs », qui illustre les différents points de vue et tensions entre la communauté kanak et européenne. Pour certains, le rap est plus intimiste et leur permet de partager leur vécu ou d’évoquer le sujet des drogues, tel que l’a fait la rappeuse Geary, avec son morceau « Sensimilia ».

  • LE ZOUK S’EN MÊLE

Particularité sans doute propre au territoire, le rap calédonien se mélange quelquefois au zouk et au kompa. Un mix représentatif des goûts musicaux des artistes, mais qui répond aussi aux attentes du public. « Ils savent que pour percer, il faut faire du kompa. Des artistes comme Solo et Lenimirc l’ont vite compris. Ils ont sorti des morceaux de rap, ça ne marchait pas trop et lorsqu’ils ont sorti un morceau de kompa, ils ont eu 300 000 vues en quelques jours », raconte PaBlöW. Peut-on toujours parler de rap dans ce cas précis ? Le débat est lancé.

  • LE SON DES TRADITIONS

Le rap calédonien se différencie par certaines caractéristiques. D’abord, par son contenu, avec des expressions locales ou parfois du rap en langue (notamment en drehu, avec les artistes Ybal Khan, Resh et Simanë).

On peut également retrouver dans certains morceaux un beat (musique et rythme de la chanson) inspiré du kaneka, avec des bambous pilonnant, du bwanjep ou encore des chants traditionnels Ae Ae. Un élément qui a émergé en partie grâce au travail effectué par l’association Dix-Vers-Cités. Il y a quelques années, ses membres ont créé un concours dont l’idée était de réaliser un beatmaking avec des instruments locaux. « À un moment, la question s’est posée – et elle se pose toujours – dans le mouvement hip-hop calédonien : comment notre identité est-elle reflétée ? Qu’est-ce qui nous différencie d’un rappeur marseillais ou parisien ? Donc l’idée avec ce concours, c’était de travailler une identité locale », explique PaBlöW.

De cette réflexion est d’ailleurs né le collectif Hnamelöm Beats, qui crée des beats hip-hop avec des sonorités locales.

Nikita Hoffmann