La Vallée-du-Tir est l’un des quartiers les plus anciens de Nouméa. Familles anciennes, communautés émigrées se côtoient de longue date. C’est un lieu marqué par les épreuves calédoniennes, du bagne jusqu’aux émeutes.
Le Cercle des musées de la ville a consacré à ce quartier emblématique une brochure historique intitulée « Le parcours de la Vallée-du-Tir ».
« Le quartier dégage un parfum d’antan », introduisent les rédacteurs. Ses fondations remontent à 1854 lorsque Tardy de Montravel est chargé, après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie, de trouver un site propice à l’installation du chef-lieu de la nouvelle colonie. Il jette l’ancre le 14 juin dans ce site qu’il nomme Port de France. L’anse, bien protégée, où il mouille son navire est celle de l’actuelle Vallée-du-Tir. Il lui donne le nom de son bateau, La Constantine. Le 25, la première pierre du fort Constantine est posée sur le site de l’ancien CHT.
BERCEAU PIONNIER DE LA CAPITALE
Les premiers transportés, arrivés en 1864, participent au développement de ce bourg naissant qui s’arrête alors à la Montagne coupée. Le quartier, d’abord nommé « Anse Constantine et son bassin », se scinde en deux parties. La plus proche du centre-ville est appelée vallée N’Gou, avant de devenir la première Vallée-du-Tir, la seconde prend le nom de vallée de la Thysbée, du nom d’une corvette à voile qui s’était échouée dans la passe de Boulari en 1860.
La présence des champs de tir des artilleurs, à partir de 1885, vaudra au quartier son changement de nom. Entre 1870 et 1880, l’administration pénitentiaire construit de nombreux bâtiments : hôpital militaire, évêché, cases des condamnés, prisons, locaux administratifs…
Les logements de fonctionnaires, bâtis dans la première Vallée-du-Tir, sont achevés en 1877. À la fin du siècle, le quartier est habité par les familles Rouvray, Chatenay, Unger (Lèques), Dubois, Vautrin et bien d’autres. « Nos plus vieilles familles calédoniennes s’y enracinent, des amitiés se forgent, la camaraderie caractérise les ‘valédutiriens’ », raconte le Cercle des musées de la ville. Les premiers remblais sont érigés le long de la baie pour réaliser la voie ferrée Nouméa-Bourail. La ligne est inaugurée en 1904, elle fonctionnera entre Nouméa et Païta de 1914 à 1939. Une gare se situe au niveau de l’actuelle direction de l’équipement de la province Sud.
En 1905, le magnifique hôtel de la Gare, est conçu par Vital Paul Meunier, il deviendra le Grand Hôtel du Pacifique en 1940. « Le personnel, javanais et indochinois, assure un service de qualité qui fait de cet hôtel un établissement de standing. Il sert de cadre aux grandes réceptions, aux fêtes, aux bals et aux grands mariages ».
HAUTS-FOURNEAUX
Le déménagement au 4e kilomètre du cimetière de la deuxième Vallée-du-Tir en 1877 laisse la place à la construction des premières maisons vers 1890. Mais c’est l’essor de la société des Hauts-Fourneaux, ancêtre de la SLN, créée par André Ballande et inaugurée en 1910, qui marque le point de départ de son développement.
Malgré la présence de marécages, dont le dernier sera comblé en 1947, les employés de l’usine commencent à s’y installer à partir de 1909. La population est en pleine croissance avec l’essor de l’industrie. Ouvriers, travailleurs asiatiques sous contrat, trans- porteurs, artisans, employés portuaires trouvent un quartier abordable et proche du travail. L’activité stimule aussi les petits commerces de proximité.
Dans les années 20, le quartier résidentiel est encore entouré de « stockyards » où est regroupé le bétail destiné à l’abattoir. Arnold Russ, mémoire locale, rappelle aussi la création en 1916 de l’agence Vacuum OIL (devenu Mobil) qui importe des produits pétroliers, l’implantation de la brasserie La Cervoise qui brasse la première bière du territoire, la Bock.
GUERRE ET APRÈS-GUERRE
La Deuxième Guerre mondiale laissera aussi sa marque. En 1942, l’hôtel est réquisitionné par l’armée américaine afin d’y établir le QG du général Patch. Un camp de toiles y est installé pour les militaires néo-zélandais préposés au déchargement des navires du grand quai et de Doniambo. Les troupes américaines sont basées à la « Colline aux Oiseaux ». « Des liens forts se créent entre les GI’s et les habitants du quartier », raconte le cercle. Un dépôt de munitions situé à Doniambo explose en 1943.
En 1946, les premiers volontaires du bataillon du Pacifique reviennent à bord du Sagittaire. Ils sollicitent l’attribution de lots de terrains à bâtir. Certains leur sont réservés à la deuxième Vallée-du-Tir. Le lotissement des Volontaires est créé en 1952.
En 1948, un marché de travaux est passé par la ville de Nouméa avec Roger Berlioz, entrepreneur en menuiserie, pour la construction de maisons « en série », destinées aux familles nombreuses, aux volontaires et à d’anciens combattants. Il s’agit des premiers logements sociaux de Nouméa. L’après-guerre est marqué par la croissance industrielle. Une nouvelle main-d’œuvre, océanienne et asiatique, s’installe dans des habitats souvent précaires.
Dans les années 2000 un plan de résorption de l’habitat insalubre et de rénovation est conduit par la ville pour favoriser le maintien d’une population multicommunautaire en soutenant l’animation et l’activité commerciale.
Toutes ces périodes transparaissent dans l’architecture : vestiges (ruines, canons, etc.), maisons coloniales (environ 70 recensées), béton d’après-guerre (logements collectifs ou petites maisons), habitat populaire, contemporain avec des éléments caractéristiques de l’Art déco. Un quartier unique en son genre.
Chloé Maingourd