[DOSSIER] Un but, mais des chemins

« En 1853, nous n’avons pas fait coutume, soyons clairs et honnêtes » avait mentionné Emmanuel Macron, sur la place des Cocotiers à Nouméa, en juillet 2023. © Archives DNC / E.B.

Souhaité par le président de la République Emmanuel Macron à Nouméa, le projet du chemin de pardon s’est heurté aux émeutes de mai 2024, puis à la chute du gouvernement Mapou. Des initiatives parallèles ont germé.

Sous les drapeaux tricolores, face à la foule rassemblée sur la place des Cocotiers à Nouméa, la demande a surpris. « Je suis convaincu que le chemin de pardon, de mémoire, d’histoire est indispensable pour construire un chemin de réconciliation. Je vous le dis avec gravité, avec responsabilité et avec affection : il n’y a aucun débat institutionnel, aucun débat politique qui règle les sujets de mémoire, de respect et les histoires », a déclaré le président de la République, mercredi 26 juillet 2023. Point tout aussi étonnant, Emmanuel Macron proposait au président du gouvernement d’alors, Louis Mapou, d’ouvrir ce chemin de pardon, une voie à « bâtir ensemble ».
L’initiative de l’Élysée ne repose pas sur du sable. Lancé maladroitement en mai 2018 par la remise de deux actes de prise de possession de la Nouvelle- Calédonie de 1853, ce travail sur les rapports souvent douloureux entre les autorités françaises et le territoire renvoie au paragraphe 3 du préambule de l’accord de Nouméa. Celui qui mentionne notamment : « Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine ».
Cette volonté de tracer un chemin intervient aussi, bien sûr, en une période charnière, durant laquelle un nouvel accord sur l’avenir de l’archipel doit être écrit. Emmanuel Macron en était convaincu place des Cocotiers, « on rend un futur possible par un chemin de pardon à bâtir et à faire ensemble ».

DIFFICULTÉS
Louis Mapou a commencé à œuvrer dès août 2023, puis a engagé une tournée de présentation et d’information dans les huit aires coutumières, avec l’appui au départ du Sénat coutumier. Ces visites se sont achevées en avril 2024 à Maré. Pour quelle action visée ?
Tout était en réflexion, rien n’était acté. Un geste de l’État face au peuple kanak pour demander pardon peut être imaginé. Tout comme envers les autres communautés. Élément de calendrier évident, une concrétisation forte devait intervenir avant la fin de la mandature d’Emmanuel Macron, soit mai 2027.
L’élan impulsé par Louis Mapou ne fut pas sans se heurter à quelques difficultés. Si les conseils d’aire ont été très attentifs, certains représentants ne comprenaient pas pourquoi l’État a confié la mission « alors qu’il est responsable ». Est apparue la nécessité, au fil des échanges sur le terrain, d’aller expliquer la démarche dans les communes et les tribus. Et puis, une interférence puissante est née : l’ambition de l’État sur le chemin de pardon s’est percutée à la forte contestation du projet de dégel du corps électoral provincial. Les émeutes et leurs effets ont stoppé la démarche. Puis le gouvernement Mapou est tombé fin décembre 2024. Une idée avait germé avant l’insurrection : organiser un ou plusieurs événements autour du chemin de la mémoire et du pardon à la date symbolique du 24 septembre de l’an dernier. Emmanuel Macron souhaite-t-il poursuivre le projet avec Alcide Ponga, nouveau patron de l’exécutif ?

RÉPARATION
Jour après jour, le Sénat coutumier a aussi mûri sa réflexion. « Le pardon, c’est le terme. La discussion souhaitée avec le président de la République doit porter sur toutes les étapes en amont, observe le président Mahé Gowe. C’est d’abord une reconnaissance des méfaits de la colonisation. » Le sénateur place ensuite, non loin de la réconciliation, la phase de la réparation, ou « le processus de la justice réparative » sous forme matérielle. Le Sénat coutumier a formalisé, auprès du ministre Manuel Valls lors de son récent déplacement sur le territoire, une demande de rencontre en haut lieu afin de décrire ce cheminement.
Le locataire de la rue Oudinot a d’ailleurs reçu à Nouméa les membres du comité Paroles, mémoires, vérité et réconciliation. Ce groupe, constitué entre autres de représentants du feu comité des Sages mis en place en 2017 par le Premier ministre de l’époque Édouard Philippe, planche sur cette dimension, comme son appellation l’indique. Un de ses travaux en cours porte sur « les différentes réconciliations à engager dans le contexte calédonien », note Christophe Sand, représentant actif de l’association. Cette « démarche multipolaire » s’élève à partir du conflit mémoriel dans lequel se sont retrouvés l’État, le monde kanak et les autres communautés de l’archipel.
Le comité entend produire, au terme de son analyse, un document de synthèse avec une proposition d’actions concrètes. Une question apparaît : ces initiatives se réuniront-elles sur un unique chemin ?

Yann Mainguet

Trois phases
Louis Mapou et ses collaborateurs avaient fixé trois grandes phases historiques pour le chemin de la mémoire et du pardon : 1853-1868, soit la prise de possession et la reconnaissance de souveraineté, 1868- 1946 ou la mise en œuvre de l’administration coloniale, et enfin 1946 à aujourd’hui, c’est-à-dire la phase moderne.

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