[DOSSIER] Thio à terre

Thio s’est construite autour du nickel, où le minerai, découvert en 1864, est exploité depuis 1873, faisant de ses mines les plus anciennes du monde à ciel ouvert. Ces dernières années, entre 2014 et 2019, la ville a commencé à perdre des habitants, passant de 2 643 à 2 524. Le phénomène pourrait s’aggraver avec l’arrêt du centre SLN. (© A.-C.P)

Les restes de carcasses abandonnées sur le bord de la route témoignent des derniers événements qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie et dont la commune de la côte Est a été un des acteurs majeurs.

Les barrages, puis les affrontements avec les forces de l’ordre ont dégénéré avec la mort d’un jeune le 15 août, ce qui a fini d’enflammer Thio, symbole de la lutte indépendantiste dans les années 1980 et berceau de l’industrie minière. Dans la foulée, les sites de la SLN ont été vandalisés. « La quasi-totalité des installations et des engins ont été pillés et incendiés, entraînant la destruction de notre outil de travail », relate le directeur général, Guillaume Kurek, dans un courrier envoyé aux sous-traitants fin octobre, concernant la « mise en sommeil du centre pour une durée indéterminée, sans perspective de reprise ».

Les accès aux trois mines (Plateau, Camp des sapins et Dothio), bloqués depuis le mois d’avril en raison d’un conflit relatif à la réhabilitation d’une portion de la voie entre la Mission et le quai de chargement, le sont toujours. Et la sécurité n’est pas encore assurée à 100 % sur la route qui mène à Thio. La tribu de Saint-Pierre constitue un point de tension. La semaine dernière, une automobiliste y aurait été caillassée.

LA MINE, « SOURCE DE CONFLIT »

C’est « la triple peine », lâche Johanna, préparatrice en pharmacie. « Isolement, émeutes, fermeture de la SLN », « le scénario catastrophe » pour la commune, dont le développement dépend depuis plus de 150 ans du nickel.

Le village est presque désert. Les services sont réduits. Il n’y a plus de médecin ni d’infirmier au centre médico-social. Les rideaux du cabinet du kinésithérapeute, du centre de dialyse, du snack, de la BCI restent désespérément baissés. « Il y a un problème de prise en charge et la santé se dégrade », considère Jean-Paul Do Van, secrétaire général de la mairie. Le vivre-ensemble aussi s’est étiolé avec le temps, dans ce qui était pourtant un creuset de communautés. « Ça a changé avec les Événements et ça empire depuis le mois de mai », estime Alain Lacrose, gérant du gîte Les 3 boucles à Nakalé.

La population vieillit. Les effectifs des deux collèges diminuent, avec un taux de remplissage de 50 %. Une réflexion est en cours pour fermer l’établissement public et conserver celui de la Ddec à la rentrée 2026.

En surplomb, la mine domine Thio. L’activité cristallise toutes les oppositions. « Elle a toujours été une source de conflit depuis 1984 », analyse Jean-Patrick Toura, le maire (UC). La récente crise a notamment révélé une cassure avec une partie de la jeunesse. « On sentait que ça allait péter, il y avait une colère, une exaspération. Tout a changé, les vieux n’ont plus le pouvoir et les jeunes l’ont pris », lance Dimitri, qui participe à un chantier à Ouroué. Un malaise dont l’ampleur n’avais pas été anticipée. « On était en colère, jamais je n’aurais pensé vivre ça à 53 ans. Et c’est ça qui est difficile. Nous sommes tous responsables, nous n’avons pas traité les problèmes, reconnaît cette agente de l’administration. Nous n’avons pas été à l’écoute de la jeunesse qui s’est levée, on a tendu le bâton pour se faire battre. » La difficulté, maintenant, consiste à « renouer le dialogue », pense Jean-Patrick Toura, alors que la rupture était « déjà là bien avant ».

DIVERSIFIER

Le maire redoute désormais que la précarité s’installe. « Il y a des vols dans les champs, on commence à sentir que se nourrir est compliqué. Ça va être la réalité de l’année prochaine. » L’arrêt de la mine contraint également à penser la diversification de l’économie. « S’ouvrir à d’autres cultures comme le cacao, le santal, la vanille, valoriser la pêche, liste Jean-Paul Do Van. Il faudra accompagner les porteurs de projet pour les aider. » Et puis, il y a le tourisme. La commune a accueilli près de 10 000 visiteurs en 2023.

Mais, une élue municipale conseille de ne pas se précipiter. L’urgence est de panser les plaies. « C’est compliqué de parler développement dans ces conditions. Il faut d’abord percer l’abcès, il y a de la souffrance. Ensuite, consulter les gens pour leur demander ce qu’ils veulent faire. La mairie doit jouer un rôle de médiateur pour que les solutions correspondent à ce que souhaite la population. »

L’autre priorité consiste à sécuriser la route. « Thio avait déjà une mauvaise image. Là, ça ne s’arrange pas », déplore une agente de l’administration. L’enjeu des années à venir sera de redémarrer le site minier et l’économie générale. Les habitants veulent avancer, appuie Marie-Claude Oundo, présidente du comité de la foire : « On ne va pas rester bloquer sur ça ».

Anne-Claire Pophillat