[DOSSIER] Séverine Blaise : « L’amélioration des instruments de régulation des prix s’impose »

Séverine Blaise exerce à l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Photo : Y.M.

Séverine Blaise, maître de conférences en économie politique, analyse l’évolution récente des prix en Nouvelle-Calédonie.

DNC : Comment expliquez-vous la hausse notable des prix en juin ?

Séverine Blaise : La très forte hausse des prix s’explique en grande partie par des causes conjoncturelles : la désorganisation des flux commerciaux et des chaînes de production liée aux mobilisations contre le dégel du corps électoral, les situations de pénurie que les difficultés d’approvisionnement ont créées, mais aussi certains comportements spéculatifs ou opportunistes. Comme de nombreux consommateurs ont pu l’observer, certains commerçants ont clairement profité de la situation pour augmenter leurs prix.

Ces facteurs conjoncturels s’ajoutent à des causes plus structurelles déjà identifiées dans les rapports sur les causes de la cherté de la vie. Elles sont liées au régime de protection de la production locale et à la fiscalité, aux structures et au pouvoir de marché de certains agents, notamment dans le secteur de l’importation – distribution, qui se répercutent en cascade de marges et, au final, en des prix de vente très élevés.

Les répercussions de la guerre en Ukraine agissent-elles encore sur les prix ?

L’origine de l’épisode inflationniste que connaissent les principaux pays industrialisés se trouve dès 2021 à la sortie de la crise du Covid-19 et des mesures de confinement. L’inflation va connaître une accélération avec l’éclatement de la guerre en Ukraine en février 2022, aggravée par les comportements spéculatifs sur les marchés, générant une forte hausse du prix de l’énergie et de l’alimentation (avec des effets dominos sur les autres biens).

Les recherches menées sur les causes de cette inflation persistante tendent à infirmer l’hypothèse d’une spirale prix-salaire (thèse dominante selon laquelle ce sont les hausses de salaire qui génèrent l’inflation), mais plutôt à confirmer celle d’une boucle prix-profits (les entreprises maintiennent, voire augmentent leur taux de marge en répercutant la hausse des coûts de production sur les prix de vente tout en limitant les hausses de salaire). Pour beaucoup de grands groupes transnationaux, l’envolée des prix due aux événements géopolitiques a été une aubaine leur permettant de dégager des bénéfices records. Ce manque de conscience sociale et de solidarité questionne, à l’heure où une grande majorité de la population s’enfonce chaque jour un peu plus dans la précarité.

La destruction de points de distribution peut-elle engendrer une inflation durable ?

La diminution du nombre de points de distribution ne devrait pas, a priori, provoquer une hausse des prix, puisque les structures restantes sont supposées accueillir davantage de consommateurs. Toutefois, la diminution du nombre de points de distribution, dans le contexte local de marchés déjà très concentrés aux mains d’un petit nombre d’opérateurs, est susceptible de renforcer les comportements anticoncurrentiels comme la constitution d’ententes qui entrave le jeu de la concurrence et la diminution des prix. Dans ce contexte, l’amélioration des instruments de régulation des prix s’impose comme une nécessité.

« Lutter efficacement contre la vie chère implique d’aller au-delà d’une politique de régulation des marges. »

Baisse du pouvoir d’achat, hausse des prix : la Nouvelle-Calédonie est-elle entrée dans une spirale néfaste ?

La baisse du pouvoir d’achat des ménages calédoniens n’est pas nouvelle. Elle explique la détresse des populations les plus modestes, en particulier en milieu urbain où l’autoproduction, la solidarité et la redistribution tribale peuvent difficilement s’exercer. Selon l’Isee, l’inflation touche plus durement les ménages les plus pauvres qui limitent depuis longtemps déjà leurs dépenses aux produits de première nécessité. Le risque est celui d’un effondrement de la consommation des ménages, de l’augmentation des situations de sous-nutrition ou malnutrition, mais aussi des risques associés sur la santé physique et mentale des populations. Il est donc urgent de renforcer les filets de sécurité et de protection sociale et les différents mécanismes de solidarité.

Comment remédier à l’inflation : contrôler les marges, multiplier les accords avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande… ?

02Lutter efficacement contre la vie chère implique d’aller au-delà d’une politique de régulation des marges en repensant l’ensemble du système agroalimentaire selon une logique d’autosuffisance et en améliorant le pouvoir d’achat des ménages. Il s’agit de lutter contre la dépendance aux produits industriels importés qui sont souvent nocifs pour la santé et la vulnérabilité face au risque de rupture d’approvisionnement en privilégiant les circuits courts, les productions agroécologiques locales et leur transformation tout en organisant les services publics logistiques adéquats à l’échelle locale et du pays.

Le coût des importations non substituables peut également être minimisé en réformant la chaîne logistique : en mutualisant les services de transport maritime et de stockage sur une plateforme publique, diminuant ainsi le nombre d’intermédiaires et le coût de ces services. La recherche de partenaires commerciaux régionaux est également une voie à explorer tout en améliorant les stan- dards et normes sanitaires. Surtout, il paraît essentiel de donner plus de moyens aux institutions pour améliorer la transparence sur les prix et l’efficacité de la politique de régulation, grâce à une analyse approfondie de la formation des prix et des marges dans l’économie locale.

Propos recueillis par Yann Mainguet