Installée à Poindimié, Élodie Marnas est la seule sage-femme libérale de la côte Est depuis huit ans. Dans un désert médical qui dépasse le spectre de sa profession, avec des conséquences dramatiques, elle tente de répondre à toutes les lacunes.
Élodie Marnas a 15 ans lorsqu’elle assiste à son premier accouchement lors d’un stage de découverte dans une maternité parisienne. C’est décidé, elle sera sage-femme. Elle mène à bien des études exigeantes ‒ cinq ans à l’époque, six désormais. Son métier ? Une « passion ». « J’aime les femmes. J’aime voir la création des familles. J’aime profondément l’humain, écouter les histoires de vie.»
Depuis 13 ans à Poindimié, huit dans son cabinet, la soignante accompagne les grossesses, la préparation à l’accouchement, soutient ses patientes dans leurs parcours de PMA ou dans leur non-désir d’enfant par la contraception, l’accompagnement à l’IVG. Elle adore aussi les petits pour qui elle assure un suivi de 0 à 2 ans, « une période de développement fulgurant » où « se crée le lien avec les parents ». « On est au cœur des familles », résume-t-elle.
DU RÊVE… AU NÉANT
Lorsqu’elle arrive à Poindimié, le village compte un hôpital, des médecins urgentistes, deux sages-femmes pour les urgences, un centre médico-social avec psychiatre, psychologue, un dispensaire avec pédiatre, gynécologue… Un « petit paradis » médical. Mais voilà dix ans que la situation se dégrade.
Les soignants fuient dans le contexte du Covid. Les émeutes de mai 2024 constituent le coup de grâce. L’hôpital de Poindimié ferme ses portes fin 2024. Les libéraux baissent le rideau. Les sages-femmes disparaissent pour ne plus revenir. « Sur les réseaux sociaux on ne parle que de l’insécurité, ça ne fait pas envie, observe Élodie Marnas. Et rien n’est fait pour donner l’envie de rester. »
Elle est aujourd’hui le dernier recours dans cette vaste zone pour les femmes. Elles viennent la voir depuis Pouébo ou Houaïlou. « Trois heures aller et trois heures retour en bus. » Les conséquences de cette pénurie sont dramatiques. « Les femmes accouchent seules à domicile, sont moins bien prises en charge. » La semaine dernière, une jeune fille de 15 ans a mis son enfant au monde après avoir attendu l’ambulance deux heures et demie. « La gamine est arrivée avec son bébé entre les jambes. Je viens d’avoir la psychologue du Médipôle et elle est traumatisée ! »
Au mois de février, un nourrisson d’un kilo à peine, né prématurément à domicile à Ponérihouen, a attendu huit heures avant d’être transporté vers un hôpital. Élodie Marnas était intervenue. Malheureusement, il n’y a guère plus de femmes avec des connaissances en la matière. « Ça s’est beaucoup perdu, explique-t-elle.
Les familles appellent le 15. Mais derrière le 15, ils n’ont aucun relai à part moi et pour envoyer un avion ou un hélico, il leur faut une évaluation. »
L’hôpital de Koné pourrait, selon elle, fermer sa maternité au mois de juin faute de sage- femmes en nombre suffisant. L’établissement l’appelle pour faire des gardes, mais c’est « infaisable». Sachant qu’après Poindimié, l’hôpital de Koumac a aussi fermé ses portes en février…
DÉGOÛT
La sage-femme pratique des accouchements « plusieurs fois par mois » dans ses locaux. Elle traite les urgences, sans médecin. « Au cabinet, on est hors des clous donc personne ne veut venir m’aider ». Bouteille d’oxygène, de quoi amorcer une réanimation, elle a dû s’équiper à ses frais, pour « un fric monstre ».
Elle explique par ailleurs qu’il n’est plus possible d’avorter sur la côte Est, seulement à Koné. Élodie Marnas recense un certain nombre de grossesses non désirées, en particulier chez de très jeunes filles. En 2016, une délibération autorisant les sages-femmes à pratiquer l’IVG médicamenteuse avait été prise au Congrès.
Elle n’est toujours pas appliquée. « C’est totalement hypocrite, puisque c’est moi qui pratiquais les avortements quand l’hôpital de Poindimié était ouvert. » En plus de ses 20 à 25 patients par jour, en plus des accouchements, des urgences, la sage-femme, l’un des derniers soignants de Poindimié (« le médecin du dispensaire est revenu fin février »), se met fréquemment hors la loi pour faire des arrêts de travail, par exemple pour les femmes qui ont fait une fausse couche.
Elle réalise toutes les prises de sang du village, avant de commencer sa journée (une vingtaine tous les matins). Elle gère aussi des urgences non obstétriques, « un hameçon dans le mollet, un coup de coupe-coupe sur la main, des enfants en détresse respiratoire, en crise d’asthme, que le Samu m’envoie […] Je fais ce que peux ». Tous les jours, Élodie Marnas voit la santé se dégrader.
« On a des cancers du sein très avancés. Les dames arrivent avec des masses de la taille d’une mandarine ou d’une orange. Même des jeunes. On ne voyait pas cela il y a dix ans, mais à cette époque, on pouvait faire une mammographie à Poindimié. Cet examen n’est plus pratiqué dans tout le Nord. » Le transport est aussi « catastrophique ». « Le maillage ambulancier ne fonctionne pas. » Elle évoque le cas d’un agent de l’OPT victime d’un AVC, accompagné in extremis par ses proches à Koné.
Comme toutes ses collègues, la sage-femme a l’impression de crier dans le vide. « C’est le ras le bol, le dégoût de toute une profession. » Quant aux patients, « il y a beaucoup de résilience. Mais c’est dramatique de voir cela en France en 2025. »
Chloé Maingourd