Depuis juillet 2024, la province Sud a déployé un réseau de sentinelles : des personnes chargées de détecter les signes de mal-être chez autrui, afin de prévenir le risque de suicide. Après cinq services civiques formés l’année dernière, un autre petit groupe de dix nouvelles sentinelles a été recruté. Témoignages.
Il y a encore quelques mois, Sheyriana côtoyait « plein de copines en souffrance ». En juillet dernier, la formation « Cultiver sa santé mentale », dispensée pour la deuxième fois par la province Sud dans le cadre du réseau Sentinelle, lui a permis d’avoir les outils adéquats pour agir. Elle sait désormais repérer les signes d’alerte et est capable d’orienter les personnes qui ont en besoin vers des professionnels.
Un bagage que la jeune femme de 22 ans a déjà mis à profit. Il y a quelque temps, « une amie s’est fait frapper par son copain, témoigne-t-elle. Elle m’a envoyé un message, car elle voulait se suicider, et je lui ai recommandé d’appeler SOS Violences. Je l’ai accompagnée jusqu’à la fin de l’appel. Ça lui a fait beaucoup de bien ».
À ses côtés, Suzanne Devlin, formatrice à la tête de cette initiative et experte en promotion de la santé mentale, acquiesce. « Souvent, lorsque les personnes sont dans leur souffrance, elles n’ont pas assez d’énergie pour savoir quel numéro contacter, ni comment parler de leur problème. C’est en ce sens que ce travail est important. » Dans l’idéal, selon elle, ce dispositif devrait être appliqué dans plusieurs autres milieux. Car « en soi, tout le monde est confronté, à un moment ou un autre, à des gens qui ne vont pas bien ».
ACCOMPAGNEMENT ET SOUTIEN
Pour cette deuxième session de formation de sentinelles, dix autres services civiques, comme Sheyriana, ont été recrutés. Ils sont accompagnés de superviseurs, chargés de les soutenir dans leurs actions, « lorsqu’ils n’ont plus d’outils ou qu’ils ont l’impression d’avoir été au bout de ce qu’ils pouvaient faire ». Au sein de son environnement professionnel, Magali Flam a aussi eu l’occasion de venir en aide à une autre personne. « On m’a appelée, un jour, afin de prêter assistance à une collègue. Elle pleurait beaucoup et je sentais qu’elle passait à une phase critique et qu’elle devait être prise en charge rapidement, car elle avait des idées suicidaires. Nous avons appelé SOS Écoute. À la fin de la séance, je me suis aussi permis de lui recommander quelques techniques de gestion des émotions, comme de l’hypnose ou de l’EMDR* », raconte-t-elle.
En parallèle, elle a également mis à profit des outils de coaching à destination d’un jeune en situation d’addiction.
D’ici quelques mois, une troisième session de formation sera organisée. Dix nouvelles sentinelles devraient être recrutées. Si pour le moment, seules les direction de la Jeunesse et des sports et de l’Action sanitaire et sociale profitent de ce dispositif, dans le futur, « les sentinelles devraient s’étendre aux autres services ».
Nikita Hoffmann
*EMDR : psychothérapie par mouvements oculaires, qui peut aider, entre autres, à traiter un stress post-traumatique, des symptômes de dépression ou de troubles anxieux.
Un programme reconnu par l’OMS
Né au Québec en 1990, dans une région connue pour avoir le plus haut taux de suicides, le programme Sentinelle a été développé par des professionnels, dont Suzanne Devlin fait partie. Il a été étendu à la France et à la Suisse. Il est aujourd’hui reconnu par l’OMS, Organisation mondiale de la santé, comme un programme de prévention du suicide ayant fait ses preuves.
9 000 personnes concernées
Selon l’OMS, le suicide d’une personne conduirait en moyenne à 20-25 tentatives de suicide par la suite dans son entourage. Ce phénomène est appelé la « contagion suicidaire ». Selon Suzanne Devlin, si on prend en compte cette théorie, et « en faisant le calcul, nous serions un peu près 9 000 personnes en Nouvelle-Calédonie entourées par une personne proche qui a fait une tentative ou qui s’est suicidée ». D’où l’importance de réaliser un travail de prévention et de déstigmatisation.

