Comme le jeune Melvin, des habitants kanak de Nouméa et de ses communes limitrophes ont regagné, par nécessité ou par choix, la vie tribale. Le phénomène n’est pas négligeable.
« J’avais besoin de changer d’air. » Maintenant dans le Nord, sur la côte Est, « on voit la nature plutôt que le béton ». Melvin Xulue, 17 ans, a grandi à Maré, à Nouméa, puis à Koné pour des raisons familiales, avant de s’installer en 2022 aux Portes-de-Fer auprès de ses grands-parents, sa sœur aînée ou encore son père. Une route est alors tracée.
Élève au lycée professionnel Jean-XXIII à Païta, le jeune homme est inscrit, au début de cette année, en seconde filière MHR, pour métiers de l’hôtellerie-restauration. Une routine est en place. Tous les jours, le car, attrapé le matin entre 5 et 6 heures, le conduit devant l’établissement. Rebelote dans le sens inverse en fin de journée. Mais, même si « je me suis fait beaucoup d’amis », finalement « la filière ne me plaisait qu’à moitié ».
Le 13 mai arrive, avec son cortège de chaos. Des tours de Magenta aux Portes-de-Fer, l’ambiance est aux barrages que Melvin côtoie au début. Dans son quartier, « il y avait des explosions de grenades toutes les heures ». À la maison, la famille s’entend bien. Mais dehors, « c’était mouvementé et dangereux ». Faute de lycée ouvert et de transport actif, la télévision au domicile familial devient un fidèle partenaire de distraction, « c’était mon quotidien ».
Un virage est pris. Sa sœur Beverley l’invite en août à la rejoindre au village de Touho où l’air est plus respirable. « C’est paisible », apprécie Melvin qui du coup s’implique dans différentes tâches. Le champ, bien sûr, « tous les jours » et la culture de l’igname, mais aussi la maçonnerie et la pêche, une nouveauté partagée avec le copain de sa sœur et le capitaine du bateau. De belles pièces sont débarquées. Marlins, thons, dorades… La vie à Touho est « tranquille ». Une idée trotte dans la tête aujourd’hui, « on va faire les démarches » : entrer au RSMA, le Régiment du service militaire adapté, pour « avoir un permis de conduire et un travail ». Melvin pense au métier de soudeur, « ça me plairait bien ».
« AVOIR PLUS DE VISIBILITÉ »
Ces départs de Nouméa et ses environs, pendant ou juste après la révolte urbaine, ne constituent pas un phénomène négligeable. Le nombre de radiations d’élèves de la province Sud pour une inscription dans le Nord ou les Îles le démontre (lire également page 7). Pourquoi partir de la ville et rejoindre la tribu ? Pour des raisons de sécurité ou encore financières à la suite de la perte d’un emploi. « Des gens reviennent au foyer familial le temps de “se refaire une santé” et avoir plus de visibilité pour trouver un autre poste et rebondir », remarque John Tindao, président du conseil de l’aire Drubea-Kapumë, qui observe un développement de l’esprit de solidarité dans ce contexte de tensions économiques.
Les difficultés du moment ont déclenché un mouvement de balancier entre la Grande Terre et les Loyauté. Il y a plus de quinze ans, des habitants des Îles accompagnés de leurs proches ont quitté leur terre pour participer à la construction et à l’activité des usines du Sud et du Nord, pour occuper un poste dans le Grand Nouméa en plein boom.
Aujourd’hui, le déplacement est inverse. « Des centaines de familles veulent renouer avec la terre, travailler dans l’administration ou le tourisme », estime le sénateur coutumier drehu, Ludovic Boula. Par exemple, « des familles veulent s’inscrire dans le projet hôtelier Wadra Bay », situé sur la commune de Lifou à la tribu de Mou, « de manière indirecte », en proposant des activités aux futurs clients, des produits agricoles à la cuisine, des tables d’hôtes… Des Loyaltiens ont déjà leur maison.
De toute façon, « il faut préparer le retour », note Ludovic Boula. Préparer par des discussions préalables pour éviter les conflits, notamment sur les limites de terrain. « Le coutumier arrive à solutionner », ajoute le sénateur. « À Lifou, ça va, on s’est préparés. » Cette question du foncier est d’un abord plus simple sur l’île, parce qu’ici les données ont été posées sur le papier.
Yann Mainguet