[DOSSIER] Réconciliation, le labyrinthe de la paix

À l’occasion de plusieurs coutumes, comme ici au Sénat coutumier, Manuel Valls a offert un dessin de deux mains réalisé par Pablo Picasso. « Cela me rappelle évidemment la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur », a-t-il expliqué. © Y.M.

La phrase est inscrite dès les premières lignes du texte. Comme un préambule incontournable à ces orientations présentées par le gouvernement central. « Une seule voie s’ouvre à nous : celle d’un accord politique suivant un chemin de réconciliation » écrit le ministre d’État des Outre-mer, Manuel Valls, le 28 février à Nouméa.
Le locataire de la rue Oudinot répétera certainement son intention à la fin du mois, lors du prochain déplacement en Nouvelle- Calédonie pour poursuivre les discus- sions sur l’avenir du territoire. Le terme n’est pas sans rappeler celui prononcé par Emmanuel Macron fin juillet 2023 sur la place des Cocotiers, quand le président de la République en visite souhaitait voir s’ouvrir « un chemin de pardon ».
Quelle réconciliation ? Quel pardon, et avec qui ? Tout ce travail de mémoire, qui favorise l’échange et l’introspection, restait et reste toujours à finaliser. La tâche est politiquement sensible et humainement difficile, puisque l’exercice renvoie tout d’abord à la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie et aux souffrances des Kanak lors de la période coloniale. Toutefois s’y atteler est primordial pour écrire le futur.
Emmanuel Macron l’entendait ainsi. Des politiques et sympathisants loyalistes ne voulaient pas en entendre parler, considérant que les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ont pansé les plaies. « Ce n’est pas un chemin de repentance : c’est un chemin de fraternité, de vérité et de courage, avait déclaré le président de la République. Parce que si j’essaie de regarder en face notre histoire en Nouvelle-Calédonie, il y a un fait initial : une prise de possession, celle d’une terre qui était liée à un peuple autochtone depuis des millénaires. »

L’OMBRE DU 13 MAI 2024
L’archipel a connu des démarches de pardon ou de réparation. Monseigneur Michel Calvet avait demandé pardon aux Kanak au nom de l’Église catho- lique, le 25 décembre 1993 à Balade.
Les Calédoniens pensent aussi bien sûr au long chemin mené par les familles Tjibaou et Wea entre les 22 avril 1998 et 17 juillet 2004.
Les exemples dans le monde sont nombreux et peuvent éclairer. Comme la Belgique et le Rwanda en janvier 2000, la Croatie et la Serbie en septembre 2003, ou encore l’Australie présentant ses excuses pour les générations volées en février 2008. « Il n’y a pas une méthodologie, relève Christophe Sand, archéologue et membre du comité Paroles, mémoires, vérité et réconciliation. Il y a des cas spécifiques. »
Si le chemin n’était pas facile à tracer en Nouvelle-Calédonie au regard du poids écrasant de l’histoire, ce projet est encore plus dur à construire après les émeutes ayant éclaté le 13 mai 2024. Le territoire est divisé sous le coup de l’insurrection, une haine et un rejet de l’autre courent parfois dans les rues, or une démarche de réconciliation doit par définition rassembler. L’attitude du 18e gouvernement sera déterminante, tout comme l’impulsion de l’État. Un accord global sur l’avenir ne peut, quoi qu’il en soit, être signé sur les braises.

Yann Mainguet

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