[DOSSIER] Prévenir le suicide

Toute personne en souffrance psychologique a la possibilité de joindre le numéro du centre de soutien SOS Écoute au 05 30 30 ou de se rendre aux urgences du Médipôle, 24h/24. (©N.H)

Un Calédonien sur dix a tenté de se suicider au cours de sa vie. Cette donnée, issue du Baromètre santé réalisé entre 2021 et 2022 par l’Agence sanitaire et sociale, provoque l’effroi.
Trois ans après cette enquête, les deux suicides recensés récemment à Dumbéa viennent tristement rappeler l’existence de ce fléau sur le territoire.

L’enquête OMS-Start, publiée en 2019, montre que la santé mentale ainsi que les conflits graves de couple sont les premiers facteurs de risque de crises suicidaires sur le territoire. Pour autant, « le suicide est toujours multi- factoriel. Il n’y a jamais une seule cause », explique Suzanne Devlin, consultante en management et en stratégies de promotion de la santé mentale et formatrice. Les situations de vulnérabilité – économique, sociale ou socio-familiale – jouent également un rôle non négligeable.
Contrairement à l’Hexagone, où le « pic » de suicides selon l’âge se trouve « autour des 40-50 ans », en Nouvelle-Calédonie, le phénomène concerne davantage les jeunes. Un élément qui se vérifie dans d’autres pays du Pacifique, comme en Polynésie française, aux Samoa ou à Wallis-et-Futuna, depuis une quarantaine d’années.

Comment expliquer cette caractéristique ? Une étude publiée dans les années 1980 et portant sur la Micronésie met en avant la théorie de la « nucléarisation de la famille » : en recherche de travail, le couple parental accompagné d’enfants migre vers une zone urbaine, rompant ainsi les liens avec la famille élargie vivant en milieu tribal ou rural. Ce qui, lors d’une crise suicidaire, pourrait réduire sa prise en charge. « En contexte traditionnel rural, si le jeune était en conflit avec l’un de ses membres, il avait la possibilité d’être accueilli par une autre personne fiable de la famille. Là, ce n’est plus le cas », illustre le psychiatre Benjamin Goodfellow, psychiatre au CHS Albert-Bousquet.

LUTTER CONTRE LA STIGMATISATION

Si le sujet du suicide n’est « pas plus tabou qu’ailleurs », la stigmatisation joue néanmoins un rôle fort dans le passage à l’acte sur le territoire. « Les personnes ont peur d’aller voir les médecins pour des problèmes psychiques. 80 % de celles souffrant de troubles n’en parlent pas autour d’elles », précise le médecin.
C’est pourquoi ce dernier encourage, depuis de nombreuses années, la création d’un programme de déstigmatisation de la santé mentale en Nouvelle-Calédonie. « C’est le frein principal à l’accès aux soins aujourd’hui : la représentation que les gens se font des troubles psychiques. Pourtant, plus on intervient tôt, plus rapidement les personnes vont mieux et/ou guérissent. Il ne faut pas rester muré dans son silence. »

S’il est difficile d’analyser et de chiffrer l’augmentation du nombre de suicides depuis les émeutes de mai 2024, certains éléments laissent néanmoins interpréter une augmentation du mal-être global. Dès les premiers mois des évènements, le centre SOS Écoute a vu son nombre d’appels « tripler », voire « quadrupler ». Par voie de ricochet, le nombre d’appels pour crise suicidaire aussi. « En 2024, et la tendance est similaire pour 2025, nous en avons géré huit par mois. C’est énorme, pour une structure de notre gabarit », affirme Dominique Solia, coordinatrice du centre.
Les derniers chiffres du Baromètre santé jeunes, collectés par l’Agence sanitaire et sociale en milieu d’année, seront connus en début 2026. Ils donneront un éclairage nouveau sur l’état de santé mentale des Calédoniens. N.H.