À la tête de la Direction du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, la DTEFP, Philippe Martin suit les évolutions de l’offre et de la demande. Il observe plusieurs secteurs en tension.
DNC : Comment observez-vous le manque de compétences ?
Philippe Martin : Nous n’avons pas directe- ment de moyens de le vérifier. En revanche, nous avons un moyen indirect de l’apprécier, c’est par le biais du nombre d’offres d’emploi déposées dans certains secteurs et par la tension sur le métier, c’est-à-dire l’écart entre le nombre de postes offerts et celui de personnes en recherche d’emploi. Par exemple, pour les infirmiers, on a un désajustement extrêmement important. En 2024, on a eu 275 postes à pourvoir et 30 demandeurs. Et parmi eux, beaucoup n’avaient pas le niveau de diplôme requis.
Quels sont les secteurs les plus concernés ?
Là où les taux de tension sont les plus élevés : les infirmiers, l’enseignement, la comptabilité… De manière générale, c’est sur les métiers qui nécessitent les plus hauts niveaux de qualification. En ce sens, on peut penser qu’aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, on a vraiment un déficit de compétence globale qui explique, en partie, ce désajustement entre l’offre et la demande.
Quelles sont les autres explications ?
Ce désajustement peut avoir plusieurs causes. Cela peut être en volume, avec beaucoup de postes offerts mais peu de candidats, ou inversement. Et puis, on a parfois dans des domaines des désajuste- ments géographiques. Par exemple la mise en rayon en grande surface, l’essentiel de l’offre est sur le Grand Nouméa et beaucoup de demandeurs d’emploi sont sur la côte Est, en Brousse.
Ces secteurs en tension sont-ils les mêmes avant et après le 13 mai ?
Il y a une tendance de fond, mais le 13 mai en a aggravé un certain nombre. On a eu corrélativement une baisse extrêmement sensible du nombre d’offres d’emploi et une augmentation, moins importante mais réelle, du nombre de demandeurs. Cette situation contribue à renforcer les inadéquations, qui étaient pour certaines chroniques. On a eu un effet d’accélération ou d’aggravation.
La dernière enquête sur les forces de travail indiquait que 23 000 personnes étaient en recherche d’emploi, soit déclarées soit non déclarées. Sur 270 000 habitants, ce n’est pas marginal. Comment mobiliser ce vivier ? Comment le monter en compétence ? C’est un véritable enjeu économique et de société.
Quelles sont les options pour pallier aux besoins ?
Le gouvernement a mis en place des mesures correctives. Particulièrement, le mécanisme de chômage partiel exaction, qui avait vocation à sécuriser les salariés et donc les entreprises. Dans un certain nombre de cas, le chômage partiel exaction a permis un maintien a minima de compétences, y compris d’encadrement. Aujourd’hui, la question est jusqu’à quand et comment on le maintient ? Malgré tout, des personnes sont parties parce qu’elles estimaient que leur sécurité ou leurs conditions de vie n’étaient plus adaptées.
Le chômage partiel exaction a permis un maintien a minima de compétences, (…) la question est jusqu’à quand et comment on le maintient ?
Quelles sont les autres possibilités ?
Il y a la formation, voire la reconversion. La difficulté, c’est la temporalité. Si aujourd’hui des demandeurs d’emploi veulent acquérir de nouvelles qualifications, c’est long. On risque d’avoir une temporalité différente entre le besoin économique, qui on l’espère va de nouveau se faire sentir, et la durée d’une formation.
En revanche, une solution est de faire acquérir aux salariés des compétences ciblées pour pouvoir répondre à un mini- mum d’exigence des entreprises. C’est-à-dire essayer d’avoir des actions de formation qui durent quelques semaines et qui permettent à ces personnes d’acquérir une ou deux compétences qui sont recherchées à un moment donné sur le marché du travail.
Les entreprises et les administrations seront-elles contraintes à devoir faire plus souvent appel à des professionnels en dehors du territoire ?
Probablement. C’était déjà le cas avant sur des métiers de niche où on n’avait pas nécessairement de compétences locales. Une amélioration doit porter sur la connais- sance des milliers de Calédoniens qui sont en formation hors du territoire dans des domaines qui peuvent nous intéresser directement. Le recours à la main-d’œuvre extérieure sera une variable d’ajustement, au moins provisoire.
La Nouvelle-Calédonie est-elle encore attractive ?
Sur certains métiers, ça risque d’être compliqué. Il va falloir rétablir la confiance. Un marché du travail efficace, c’est un marché qui évolue, qui se développe dans un environnement sûr et stable.
Avec la crise, de nouveaux besoins peuvent apparaître. La Nouvelle-Calédonie a-t-elle ces compétences sur le territoire ?
Ces besoins sont difficiles à identifier pour l’instant, car cela va dépendre d’un certain nombre de facteurs. Est-ce que la Nouvelle-Calédonie qui arrive dans les prochains mois sera la même qu’avant le 13 mai ? C’est à partir du moment où on saura vers quoi la Nouvelle-Calédonie souhaite aller qu’on pourra mieux détecter les besoins que ça engendre. Il y a deux éléments à prendre en compte. Comment retrouver le niveau de compétence d’avant 13 mai ? Et ensuite, a-t-on des pistes qui nous permettent d’anticiper les besoins et les métiers nouveaux ? Et comment on s’y prépare ?
Propos recueillis par Fabien Dubedout