Les rencontres bilatérales, initiées à Paris par le ministre des Outre-mer Manuel Valls, ont permis de mesurer l’écart entre les actuelles positions défendues par les délégations politiques.
Surtout ne pas brusquer, ne pas précipiter. En recevant à Paris, du 4 au 9 février, les six délégations des forces politiues représentées au Congrès de la Nouvelle-Calédonie (UC-FLNKS, Loyalistes, UNI-Palika, Rassemblement, Calédonie ensemble, Éveil océanien), le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a respecté scrupuleusement les termes de la lettre d’invitation adressée, le 28 janvier, par le Premier ministre François Bayrou. Avec pour objectifs de reprendre le processus politique, de renouer le dialogue et de regagner une confiance sérieusement mise à mal depuis le troisième référendum du 12 décembre 2021.
Bref, une « nouvelle méthode », comme il se plaît à le souligner. Comme prévu, ces discussions ont débuté par des rencontres en bilatérale, avec « respect et écoute » de la part du ministre, assisté du conseiller spécial du Premier ministre, Éric Thiers, au cours desquelles chaque délégation a pu exposer ses principes et ses perspectives.
PROJET CONTRE PROJET
Les deux premières reçues, Les Loyalistes et l’UC-FLNKS, étaient chacune venues avec un document écrit. La délégation conduite par la présidente de la province Sud, Sonia Backès, et le député Nicolas Metzdorf a présenté un document résumant le projet de « pays autonome français » qui était en passe d’aboutir, affirme-t-elle, entre les partenaires calédoniens avant l’explosion de violences du 13 mai. Il développe surtout le projet de fédéralisme pour la Nouvelle-Calédonie que porte l’alliance des Loyalistes, soit « une entité fédérale dans laquelle toutes les compétences actuellement dévolues au gouvernement seraient transférées aux provinces », chacune définissant son modèle de gouvernance et de développement tandis qu’une « instance de coordination interprovinciale » se substituerait au gouvernement.
La délégation UC-FLNKS, conduite par le député et président de l’Union calédonienne Emmanuel Tjibaou, s’est bornée, pour l’essentiel, à rappeler » la trajectoire pour l’accession à la pleine souveraineté » tracée par le dernier congrès du FLNKS.
« Nous actons votre volonté de redéfinir les relations entre la Nouvelle-Calédonie et la France mais rien ne devra contredire l’esprit des accords passés, dont la finalité est la pleine souveraineté », met en garde la déclaration préalable, réaffirmant que le nouvel accord, s’il advient, devra fixer « la date effective d’accession à la pleine souveraineté, les conditions du transfert effectif des compétences régaliennes, les suites de l’accord de décolonisation, les conditions de libération de nos militants emprisonnés, reconnus comme prisonniers politiques, les conditions relatives à notre future citoyenneté nationale et les engagements de la France pour une coopération post-indépendance dans le cadre de conventions d’interdépendance ».
Projet contre projet, laissant peu de place aux propositions de réconciliation et de cheminement commun que peuvent défendre d’autres formations politiques. Y avait-il un réel espace de discussion lors de ces rencontres à Paris, tant les visions, au sortir de ces mois de violence, de destructions, d’effondrement économique et social et de mise à mal du « destin commun » apparaissent antagoniques ? À vrai dire, non. Y avait-il même une volonté de se parler, de renouer avec le cadre tripartite qui avait permis les accords de Matignon et de Nouméa ? La réponse, là encore, est non. Ce qui ne veut pas dire que la situation est irréversible.
Mais, pour l’instant, le rôle de l’État, en la personne de Manuel Valls, aussi conscient soit-il de la crise historique que traverse la Nouvelle-Calédonie et du désastre social qui la guette, consiste d’abord à s’imprégner des apports de chacun avant d’engager avec tous une deuxième phase de discussion, en espérant qu’elle débouche sur des négociations.
« PRÉSENCE INDISPENSABLE » DE CHRISTIAN TEIN
Ce qui ne pouvait aboutir à Paris. Le FLNKS avait préalablement fixé les étroites limites dans lesquelles sa délégation, composée d’Emmanuel Tjibaou, Omayra Naisseline, Roch Wamytan, Mickaël Forrest et Aloisio Sako, effectuait le déplacement : uniquement des bilatérales avec l’État, en vue d’une éventuelle poursuite des discussions sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, avec la « présence indispensable » de Christian Tein, le chef de la CCAT, actuellement détenu à Mulhouse.
Significativement, ni Roch Wamytan, ni Mickaël Forrest, ni Aloisio Sako n’ont pris part à l’accueil des délégations, jeudi 6 février, par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, pas plus qu’au Forum économique qui s’est tenu le 8 février à Bercy. Histoire de ne pas s’exposer avant le retour à Nouméa.
Cela montre à quel point la reprise des discussions en vue d’un « compromis politique » que beaucoup souhaitent, à défaut d’un « accord global », reste fragile.
Le ministre des Outre-mer s’est bien gardé, jusqu’à présent, d’émettre une appréciation ou un quelconque jugement sur les propositions portées par chacune des six délégations. Il se rendra en Nouvelle-Calédonie à partir du 22 février avec probablement, cette fois, un projet qui permette d’amorcer une deuxième phase de discussion et, si possible, d’engager des négociations sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. D’ici là, il reste de multiples obstacles à franchir. Sans précipitation.
À Paris, correspondance