[DOSSIER] Orgon, la base de données aux 30 000 noms

La plateforme Orgon a été prise d’assaut mercredi 8 mai, lors de la journée des descendants du bagne, à l’île Nou. © A.-C.P.

L’association Témoignage d’un passé présente une application inédite regroupant les informations des bagnards – transportés, relégués, déportés – et des surveillants militaires, soit près de 30 000 fiches mises à disposition du grand public.

Orgon* est le fruit de 40 ans d’investigations menées par l’historien Louis-José Barbançon, Évelyne Henriot et Robert Zoller. Sans eux, la base de données n’existerait pas. « Ce sont ces trois chercheurs qui ont permis sa réalisation, salue Yves Mermoud. Les gens ne se rendent pas compte du travail colossal qu’il y a derrière. »

Ces éléments, le président de l’association Témoignage d’un passé (Atup) souhaitait les mettre à disposition du grand public. Le projet, né en 2021, s’est concrétisé grâce à une subvention reçue dans le cadre du budget participatif de la province Sud. « Il fallait tout collecter, numériser, harmoniser et rendre cohérent. » La mission a été confiée à la société Élément, en partenariat avec Ciweb.

Aujourd’hui, Orgon regroupe 30 000 fiches, environ 21 500 transportés hommes, 3 900 déportés, 3 700 relégués et 1 000 condamnées et reléguées femmes. La plateforme a été inaugurée mercredi 8 mai, à l’occasion de la journée des descendants.

« Je ne crois pas que cela existe ailleurs dans le monde, c’est assez inédit, relève Yves Mermoud. En Australie, les archives ont pour la plupart disparu, les seules conservées étant celles de la Tasmanie, avec un site un peu similaire, Founders and Survivors. »

29 744 fiches de bagnards et
1 695 de surveillants militaires sont accessibles.

Vérification

Cette mine d’informations est consultable directement sur les ordinateurs du site historique de l’île Nou. Un outil intéressant alors que beaucoup ignorent encore avoir un aïeul bagnard. « Il subsiste une méconnaissance de son ascendance liée au bagne. Les grands-parents ne voulaient pas en parler, les parents n’ont rien su et n’ont rien transmis aux générations suivantes », expose Yves Mermoud.

Pour obtenir des renseignements sur son ancêtre, il suffit d’entrer un patronyme, un matricule, le nom d’un navire (la liste des passagers y étant associée), la date d’arrivée, etc. Des paramètres qui doivent être analysés, des erreurs s’étant glissées, avec le temps, dans l’orthographe des noms de famille, les dates de naissance… « Par exemple, mon arrière-arrière-grand- père était un Goeytche. Cela s’écrivait avec un “h” qui a disparu. Aujourd’hui, si on tape sans le “h”, on ne le trouve pas. »

Ce travail « de fourmi », titanesque, Évelyne Henriot y a dédié une grande partie de sa vie. L’ancienne enseignante a commencé, il y a plus de 30 ans, par constituer les fiches des surveillants militaires, « un boulot de fou, je m’y mettais tous les soirs quand les enfants et mon mari étaient couchés ».

Parallèlement, ces dernières années, elle a repris le dossier des condamnés un par un pour corriger les anomalies. « J’y passe mes journées. » C’est loin d’être fini. « Je pense qu’il me faudra encore au moins trois ans pour contrôler l’ensemble des transportés, je n’en suis même pas à 3 000. C’est difficile, mais j’aime faire ça. »

Participatif

Évelyne Henriot épluche tous les documents possibles, ceux des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, de Gallica (la Bibliothèque nationale de France), les états civils, les arrivées de bateaux… Une tâche cruciale pour faire d’Orgon le portail le plus fiable. Et un sacerdoce pour celle qui, à l’aube de ses 80 ans, fait preuve d’une énergie débordante. « Elle s’est dit, “avant de disparaître, il faut que ce soit fini” », raconte Yves Mermoud.

Évelyne Henriot est « tombée dedans » il y a bien longtemps, alors qu’âgée de 18 ans, elle part en quête de ses origines et découvre par hasard que son grand-père, Léon Lucas, était un bagnard condamné à dix ans pour faux en écriture. Parmi ses ancêtres, deux surveillants pénitenciers également. « C’est une vraie valeur ajoutée, estime Emmanuel Chanson, gérant associé d’Élément, qui a mis en forme le site à titre à la fois professionnel et bénévole, parce qu’on propose de la matière vérifiée. »

Orgon, système participatif, est amené à être enrichi. « On dispose de peu de photos, alors je lance un appel à ceux qui en auraient et qui accepteraient de les partager. » D’autres documents pourront l’agrémenter au fur et à mesure, sonores, vidéos, cartographiques, etc. À terme, l’association Témoignage d’un passé envisage de le mettre en ligne.

Anne-Claire Pophillat

*En référence à Orgon, dans les Bouches-du-Rhône, où l’ancienne prison du XVIIe siècle a servi de relais pour les forçats qui se rendaient au bagne de Marseille puis de Toulon à pied, ville d’où a appareillé l’Iphigénie.