[DOSSIER] « On apprend à détruire notre colère »

Les prévenus doivent s'impliquer dans ce placement pour s'autonomiser, changer leurs automatismes. Photo CM

Le placement au centre pour but de susciter « un choc » chez les auteurs de violences intrafamiliales afin qu’ils travaillent sur eux-mêmes et n’agressent plus. Les études menées ailleurs montrent des taux de récidive  « divisés par quatre » par rapport au milieu carcéral.

Marc* est dans la force de l’âge. Gabarit imposant. Tatoué, barbu. Il est arrivé au centre en février et y restera jusqu’à son jugement en juillet. Six mois pour se remettre dans le droit chemin. Il ne souhaite pas évoquer les faits qui l’ont mené ici, mais il explique avoir besoin d’apprendre à se maîtriser après avoir « pété un plomb ».

Il n’a pas le droit de voir sa femme, juste sa fille le mercredi pour qui il souhaite avancer, car « c’est dur pour elle » et « c’est moins bon à l’école ». Il mentionne des choses difficiles durant son enfance. « Souvent, c’est ça. On fait les mêmes trucs. »

Le centre est pour lui « une dernière chance » avant d’aller « direct de l’autre côté ». La prison, il connaît, son neveu y est déjà. « Là-bas, je sais que c’est la loi du plus fort ». Au centre, « l’ambiance est bonne avec les autres » et surtout, dit-il, « ici, on apprend à détruire notre colère ». Marc a la sensation qu’il progresse. « Je maîtrise déjà. Avant c’était : tu parles mal, BAM ! » Il parle à un psychiatre, assiste à des groupes de parole. « Il faut sortir les trucs de la tête. Parler, ça libère ».

MIS À CONTRIBUTION

Marc cherche un emploi dans la soudure, le bricolage etc. Le quotidien s’articule au centre autour des repas, des tâches ménagères avec planning établi, rencontre avec les organismes extérieurs pour l’emploi, la formation, le permis pour certains, le suivi psychosocial. Les locataires peuvent sortir entre 6 h 30 et 18 heures. Le soir les parties de belote sont fréquentes. La consommation d’alcool et de stupéfiants est interdite avec des contrôles inopinés. L’établissement est sécurisé.

Chaque prévenu a son propre studio avec une partie sanitaire. Les locaux, dans l’ancienne résidence des Jeunes travailleurs, ont été entièrement rénovés par la province Sud pour 20 millions de francs. Neuf studios sur dix sont occupés, un prévenu ayant été révoqué récemment. Un Calédonien d’un certain âge connu pour des violences notamment envers son fils handicapé.

« L’enquête était longue. C’était clairement une erreur de casting. Il n’y avait aucune remise en question, un problème avec l’alcool, une impulsivité très difficile à gérer, glisse le directeur, Ludovic Fels, qui reste positif. Cela nous a permis de tester nos process, nos procédures. » Les prévenus reconnaissent généralement « l’utilité et le cadre excellent de cette prise en charge » à laquelle il est important qu’ils contribuent, et financièrement et par leurs actions, pour « sortir de l’assistanat, montrer leur implication ».

L’équipe du CPVIF est composée de six professionnels : le coordinateur, trois agents d’accueil, deux veilleurs de nuit et le directeur. Photo : CM.

INTERACTIONS

Ludovic Fels explique que ce qui fonctionne le mieux sont les groupes de parole organisés avec le Relais et l’intégration de personnes suivies par la Rapsa déjà jugées et passées par la prison, ce qui peut amener à réfléchir. Il s’agit de les faire interagir et d’en venir à des conversations du type : « Moi, effectivement, je frappe ma femme parce que je ne supporte pas telle chose. Moi c’est plutôt cela qui me rend en colère ». Il faut s’attarder sur les racines de la violence et voir pourquoi ils passent à l’acte. « On regarde tous les versants de la vie, de l’enfance à aujourd’hui, pour comprendre ».

L’objectif du séjour est d’amener la personne à de nouveaux automatismes et à une autonomie. Des stages sur les violences sexuelles, « banalisées au sein du couple », sont aussi nécessaires. « Récemment, on était en pleine session et une personne a eu à ce sujet une réaction très violente : ‘moi, en 40 ans, je n’ai jamais demandé à la femme l’autorisation pour coucher !’ ». Ludovic Fels explique être atterré par la fréquence des violences intrafamiliales. « Elles prennent tellement d’ampleur qu’elles absorbent tout le reste. »

Dans ce parcours, il faut aussi analyser s’il est possible de reprendre la vie de couple. « Le mieux est toujours d’avoir un temps », mais certaines relations « doivent absolument se terminer », souligne le directeur qui observe « une ambivalence avec des victimes qui sont constamment devant la porte pour entrer en communication alors que la justice l’interdit ».

UN SUIVI DANS LA DURÉE

Pour l’équipe encadrante, la réussite consiste à ce qu’en fin de placement, l’auteur sache ce qu’il faut faire pour changer ses comportements. Et bien sûr l’absence de récidive. Elle serait dans d’autres centres – il en existe une trentaine en France – de 8-9 % contre 40 à 45 % en sortie de prison, avance Philippe Palombo, président de l’Aravif, association qui gère la structure. Sachant que d’autres dispositifs, comme la justice restaurative, n’ont jamais vraiment fonctionné en Nouvelle-Calédonie, selon Ludovic Fels.

Trois hommes ont terminé leur séjour au CPVIF et ont été condamnés à du sursis avec port d’un bracelet électronique, une période probatoire et une obligation de suivi. Deux sont retournés à domicile dont un avec sa compagne. Le troisième est retourné chez ses parents.

Dans les prochains mois, un suivi post-sentenciel est envisagé pour garder le lien. « À la sortie, les personnes sont encore demandeuses d’un accompagnement », souligne Philippe Palombo. Cela pourrait fonctionner comme dans une structure semi-ouverte, faire partie des obligations judiciaires. Autre idée, accueillir des auteurs à titre volontaire, avant le passage à l’acte.

Chloé Maingourd