[DOSSIER] « On a le pouvoir de changer les choses »

L’UPJC, Union pour la jeunesse calédonienne, permet aux jeunes de se retrouver. Une initiative appréciée. « J’ai toujours parlé de l’avenir avec les adultes et très peu avec des gens de ma génération, commente Lari Sioremu, alors que finalement, on est pleins, dans notre coin, à cogiter ça dans notre tête. » ( A.-C.P.)

L’Union pour la jeunesse calédonienne proposait, samedi 7 décembre, un évènement pour échanger autour du 13 mai, évoquer les défis de la société et partager des solutions. Plus d’une quinzaine de jeunes ont dialogué ensemble, au centre culturel Tjibaou.

Dans la pénombre de la case, les langues se délient. Sur les nattes, une quinzaine de jeunes discutent, à l’invitation de l’UPJC, Union pour la jeunesse calédonienne, autour des événements des derniers mois et sur l’avenir. Une initiative bienvenue pour les participants, une occasion rare de s’exprimer. « C’était intéressant de poser des mots sur ses émotions, sans jugement », estime Vaïnui Yakobo, étudiante en deuxième année de bachelor gestion des entreprises.

Une envie, aussi, d’essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. « Je me pose des questions sur ce qui nous a amenés au 13 mai. Je voulais en parler dans un cadre sécurisé, et c’est ce que j’ai trouvé », explique Lari Sioremu, en troisième année d’histoire à l’Université. L’intimité du lieu libère. Chacun peut prendre la parole quand il se sent prêt, témoigner de son vécu, évacuant la « peur », la « colère », « l’incertitude », « l’insécurité », « l’incompréhension », la « sidération », « l’injustice », etc.

Des récits émouvants. « Je passais mes journées sur les réseaux, cela m’a pourri de l’intérieur », déclare l’un d’entre eux, « J’avais la boule au ventre », poursuit un autre, « J’étais enceinte, quand ça tirait, le réflexe était de protéger mon bébé », etc. Parfois, de simples mots suffisent. « Cauchemar », « explosion », « feu », « perdu », « déstabilisé », « bavures policières », et puis de la « colère envers les politiques », et des interrogations : « Pourquoi je ne connaissais pas l’histoire de la Nouvelle-Calédonie avant ? ». Un moment presque thérapeutique. « Ça fait du bien de se poser et d’avoir d’autres points de vue. »

« UNE PRISE DE CONSCIENCE »

Malgré tout, ces événements ont amené du positif, relève Jeanne Dupont, présidente de l’UPJC, « générant de la solidarité, créant des amitiés ». Et puis, il y cet espoir que les émeutes agissent comme un électrochoc, souligne Vaïnui Yakobo, « réveillent quelque chose, créent une prise de conscience. Nous, on attend que ça, d’aboutir à un projet de société qui convienne à tous ».

« On veut montrer que ce n’est pas
parce qu’on est jeunes qu’on ne peut pas penser. Au bout d’un moment, si on veut quelque chose, il faut y aller. »

Cela ne pourra se faire sans prendre en compte les problématiques et les défis auxquels cette génération est confrontée. La réflexion a largement nourri la discussion. Il est question de « division », « d’extrémisme », de « haine », de « la mobilité dégradée et de la cherté du bus », du « système éducatif inadapté », de « la désinformation », de « démocratie représentative », « d’inégalités sociales », de « clivages politiques entre le oui ou le non sans camp du milieu », de « propagande de peur qui empêche de réfléchir », d’un « système à bout de souffle », de la « crise environnementale », du fait de « vivre côte à côte mais pas ensemble », du « manque de valorisation de la culture océanienne », et tant d’autres choses.

Bien sûr, les émeutes ont laissé des traces. Depuis, Lari Sioremu se « projette différemment dans ma manière d’aborder les choses », sans que pour autant son optimisme n’ait été entamé. « Nous sommes dans la construction et nous voyons des issues au niveau économique et institutionnel. »

AGIR

Face à une certaine inertie, la jeune femme de 24 ans n’hésitera pas à prendre les choses en main pour se faire entendre. « On veut montrer que ce n’est pas parce qu’on est jeunes qu’on ne peut pas penser. Au bout d’un moment, si on veut quelque chose, il faut y aller. » « On a le pouvoir de changer les choses à notre échelle », ajoute Vaïnui Yakobo.

La restitution des travaux, en fin de matinée, met en avant plusieurs solutions. « Travailler sur les inégalités », « faire revenir les jeunes », « s’engager en politique ou dans l’associatif », « ne pas rester figé sur le passé », « sortir du statut de victime », « définir la place de la jeunesse dans la société », « discuter avec les chefferies », « valoriser les savoir-faire et les richesses de la Nouvelle-Calédonie », « lever le voile des non-dits », « contrôler la vie publique », etc. Autant d’idées que l’UPJC, ouverte « à tous ceux qui se sentent concernés », compte promouvoir pour porter la voix des jeunes.

Les participants sont déterminés. Lari Sioremu ira chercher sa place. « On a un héritage ici, la terre m’attache ici, tout m’attache ici, je ne peux aller nulle part. On ne va pas se laisser abattre. » Qätrene Juni, coorganisatrice de l’événement, conseille de commencer par sa vie, son entourage. « Faire différemment chez soi pour transformer la société petit à petit, retrace celle qui confectionne des éponge écologiques en fibres naturelles, un projet qui me ressemble et reflète mes aspirations. »

Un prérequis a cependant émergé lors de la rencontre. Et la proposition a fait l’unanimité. La demande « d’un geste fort de l’État, un geste de pardon, de réconciliation envers toutes les communautés qui composent la Nouvelle-Calédonie, développe Vaïnui Yakobo. Il faut fermer correctement la page de tous les traumatismes pour avancer, c’est le chemin de la guérison. Les anciens ont souffert de la colonisation, qui a encore des conséquences, et on ne veut pas que ça se reproduise. » Pour ainsi laisser sa place à cette génération. Parce que, « c’est nous l’avenir du pays ».

Anne-Claire Pophillat