[DOSSIER] « On a appris à travailler avec trois fois rien »

Anne-Claire Pophillat

Paul Wamo, Gulaan, Edou, Tyssia… autant d’artistes que le Pôle d’export de la musique et des arts (Poemart) a aidé, depuis sa naissance en 2007, à se professionnaliser et à diffuser leurs créations hors des frontières de la Nouvelle-Calédonie. Mais l’avenir de l’association est menacé par la baisse draconienne de son budget, témoigne Alexandra Gardner, sa directrice depuis 2017.

par Anne-Claire Pophillat

DNC : Le Poemart, qui fait face à des baisses conséquentes de ses subventions, traverse une situation critique. Qu’en est-il ?
Alexandra Gardner : Au début, la structure a connu des années très fastes, jusqu’en 2014. Entre la participation des institutions et les partenariats privés avec des entreprises comme l’OPT et Vale, on a eu jusqu’à 80 millions de francs de budget. La situation a commencé à se dégrader en 2015 – 2016 et cela s’est accentué il y a deux ans. En 2020, le gouvernement nous a octroyé 24 millions de francs. Le montant, divisé par deux en 2021, est passé à 12 millions et, cette année, à cinq millions, ce qui couvre la moitié des frais de fonctionnement. Après, on sait que la Nouvelle-Calédonie est en grande difficulté et que la crise sanitaire n’a pas arrangé les choses.

Quelles sont les conséquences ?

Je suis désormais la seule salariée. Le Poemart a dû licencier la seule collègue qui restait, la chargée de communication, l’an dernier. Heureusement, on a un peu de fonds propres et on a eu un report de crédits de 2020 sur 2021 en raison de l’annulation des événements prévus, qu’on a réorienté localement sur des émissions de télévision, l’accompagnement d’un projet sur l’anthologie du rap, des résidences de création et de coaching scénique de rappeurs en vue des Francofolies ou encore de l’aide à la création d’outils de communication.

Un de nos problèmes, c’est qu’on ne sait pas à qui s’adresser. La complexité du Poemart, c’est qu’avec l’export, il assure a priori une compétence pays en représentant la Nouvelle- Calédonie hors du territoire, sauf que la compétence culture appartient aux provinces qui, elles, ne s’approprient pas la mission d’export. Il nous reste à trouver d’autres sources de financement et à repenser le projet en s’orientant, par exemple, davantage vers le développement et l’accompagnement à la professionnalisation pour lequel la province Sud nous soutient un peu.

 

D’autres mesures pourraient permettre d’appuyer le secteur ?
Il faudrait réfléchir à mettre en place une redevance copie privée, une taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, une taxe sur la billetterie avec exonération pour la programmation d’artistes locaux, faciliter l’éligibilité au mécénat, renforcer le « 1 % culturel », exonérer les artistes de la TGC sur leur matériel professionnel ou encore offrir une reconnaissance du métier d’artiste. Et puis concernant la promotion, on demande au gouvernement depuis plusieurs années de pouvoir bénéficier de la gratuité sur un certain nombre de billets d’avion par an, sachant que le budget qui y est consacré s’élève à plus de six millions de francs. En Polynésie, par exemple, Air Tahiti Nui offre plus de 50 billets par an au secteur artistique polynésien. Il faudrait aussi le faire localement avec Air Calédonie. On se prive souvent d’artistes des îles à cause du coût du transport.

De nombreuses associations vivent la même chose. Pourquoi ne pas se fédérer ?
On a tenté de le faire à plusieurs reprises, mais il manque quand même un peu de solidarité dans ce secteur. On peut également réfléchir à mutualiser. Le problème, c’est qu’on a déjà tellement réduit notre fonctionnement que je ne vois pas la marge qu’il nous reste. On a appris à travailler avec trois fois rien. Je pense qu’on est tous très fatigués de cela, une lassitude s’est installée, alors trouver la dynamique pour se fédérer, oui dans l’absolu, mais cela ne génèrera pas d’économie.

Et si le Poemart venait à disparaître ?
Il n’y aurait pas de conséquences pour le grand public, mais pour les artistes, qui ne bénéficieraient plus de nos actions. On représente plus de 60 adhérents par an auxquels on offre des possibilités de diffusion et de promotion à l’extérieur du territoire. Si on ne le fait plus, personne ne le fera à notre place. C’est aussi à nous de réfléchir à nos positionnements, mais pour cela, il faut une politique culturelle.C’est ce qu’il manque, une vision et une volonté politique ?
Oui, il manque une vision de ce que l’on veut faire. La priorité du gouvernement est pour l’instant financière et j’espère que lorsque cet aspect-là sera plus ou moins réglé, on y verra plus clair. C’est dommage parce qu’il y a vraiment un énorme potentiel d’artistes à faire émerger en Nouvelle-Calédonie.

 

Recueillis par Anne-Claire Pophillat

 

Dans notre dossier

 

La forte baisse des subventions
Le Poemart, la Maison du Livre et le Chapitô pourraient disparaître à la fin de l’année. Dans le secteur du social, des intervenants comme Solidarité Sida évoquent, eux aussi, de fortes difficultés financières.

Chez les artistes, la « lassitude » s’installe
Les années défilent, les problèmes demeurent, constate le Syndic’art, pour qui l’incertitude est « épuisante ». Mickaël Forrest, membre du gouvernement chargé de la Culture, compte notamment sur l’arrivée d’un fonds d’aide à la création artistique pour relancer le secteur.

 

Solidarité Sida : « Une association qui ferme, ce sont des missions de service public qui s’arrêtent »

Dominique Solia, présidente de Solidarité Sida, qui partage désormais des locaux avec le CP2S, Comité pour la promotion de la santé sexuelle, et l’association Femmes et violences conjugales, rue Clémenceau à Nouméa. / Photo : A.-C. P.

Depuis 1996, Solidarité Sida-NC fait de la prévention, notamment dans les établissements scolaires, et soutient les personnes qui vivent avec le virus. « Nous avons une file active d’environ 35 malades pour 300 sur le territoire, déclare Dominique Solia, et nous nous occupons aussi des infections sexuellement transmissibles, qui sont cinq à six fois plus nombreuses qu’en Métropole. »

L’association propose notamment des dépis- tages gratuits et anonymes, des consultations de contraception, de sexologie, de psycholo- gie, etc. Des missions qui pourraient cesser d’exister.Les subventions, qui avaient déjà diminué de moitié en 2021, ont continué de fondre cette année. Sur les deux salariés, il n’en reste plus qu’un, et les bénévoles assurent l’équivalent d’un temps plein et demi. Eux aussi sont affectés. « 90 % de la charge repose sur deux personnes. Ils sont fatigués et leur motivation est en berne, ils se sentent découragés. » Dominique Solia en est consciente. « On ne pourra pas continuer comme ça, on fermera nos portes. »

Établir « une convention d’objectifs et de moyens »

Également engagée au sein du collectif des associations, Dominique Solia rappelle « que cela fait un moment » que le secteur demande à rencontrer le gouvernement pour « travailler sur une convention-cadre d’objectifs et de moyens » afin de le structurer son fonctionnement. Avant tout, il faudrait « fixer les modalités de financement ». Puis, mener une réflexion sur les priorités. « Est-ce que certaines missions d’associations sont plus importantes que d’autres ? Il faut se poser la question et en discuter. »

Une nécessité pour être plus « efficient ». « Une association qui ferme, ce sont des missions, souvent de service public et d’intérêt général, qui s’arrêtent. » Le collectif pourrait à nouveau se mobiliser (il avait lancé « un appel au secours » en 2016 qui « n’avait pas été entendu »). Depuis, il est « en sommeil ». Dominique Solia est déterminée. « Je ne veux pas qu’on arrête. » Une assemblée générale est prévue en juillet. Objectif : procéder à un état des lieux en vue de « construire une politique ». Avec les institutions.

 

Association Valentin-Haüy : « Il faut pérenniser les fonds »

Virginie Antoine, coordonnatrice de l’AVH, à gauche, à côté de Sabrina Teria qui aménage le local de la boutique solidaire que l’association compte ouvrir bientôt / A.-C. P.
« À la fin du mois de mai, on ne pouvait plus payer les salaires, déclare Virginie Antoine. Ce qui nous a sauvés, ce sont les repas à l’aveugle et un mécène qui nous suit depuis l’an dernier. » En cause, entre autres, une baisse des subventions. Celles octroyées par la province Sud sont passées de 23 à cinq millions. « L’institution avait annoncé qu’elle ne voulait plus financer le handicap, qui est une compétence territoriale. »
Parallèlement, la dotation du gouvernement a été augmentée de quatre à seize millions de francs. « Cela ne permet pas de contrebalancer ce que nous donnait la province. » Résultat, l’AVH compte quatre salariés, « normalement on est à cinq » et se voit contrainte de proposer moins d’activités. « On ne peut pas payer les prestataires. » Heureusement, « il y a les bénévoles ». Et beaucoup de dynamisme avec de nombreuses actions : jardinage, informatique, vannerie, livres audio, initiation au braille, vente de matériel spécialisé comme la canne blanche, conseil, adaptation des postes de travail dans les entreprises, etc.

« Réfléchir à nos pratiques »

Virginie Antoine voit malgré tout du positif. « Cela nous a permis de réfléchir à nos pratiques et de nous ancrer dans le développement durable.» Avec une meilleure organisation des transports, davantage de récup’, de dons et « on essaye de développer le mécénat ». Conséquence, « ça va un peu mieux ». Reste le constat, toujours le même. Il faut « pérenniser les fonds ». Surtout, la coordonnatrice demande au gouvernement de « revoir le secteur du handicap et de se caler sur la convention internationale de l’ONU qui fixe des principes d’inclusivité. Il faut changer la considération apportée au handicap », insiste la professionnelle, qui rappelle que l’AVH est « la seule à faire ce qu’elle fait ».

 

Acapa :« On a de la chance »

Liliane Condoumy (au centre), présidente de l’Acapa, passe souvent saluer les adhérents qui profitent de repas à 200 francs. / Photo : A.-C.P.

 

De quatre à deux millions de francs pour le gouvernement, de 12,5 à 11 millions pour la province Sud. Liliane Condoumy s’estime privilégiée. « C’est une petite baisse, on a de la chance. » L’Acapa attend aussi une réponse du gouvernement concernant le financement d’un poste pour une personne handicapée. « Si elle est négative, on ne pourra pas la garder. »

L’association s’emploie donc à « récupérer » de l’argent autrement : loca- tion des locaux pour des événements privés, adhésion (5 000 francs l’année, sachant que le nombre de membres a augmenté, passant d’une centaine à 130), kermesse (la prochaine est le 10 juillet), loto, vide-greniers… Elle fait aussi des économies. La banque alimentaire livre des produits secs. L’atelier théâtre a été arrêté il y a deux ans.

« Leur deuxième maison »

La structure a aussi revu ses ambitions à la baisse. « On ne peut plus faire toutes les sorties qu’on faisait avant », précise Liliane Condoumy, c’est-à-dire une grande sortie annuelle et un pique-nique mensuel. Mais grâce au report de crédits de la crise sanitaire et à des dons, quelques moments d’évasion ont pu être maintenus à l’île des Pins, au phare Amédée et au Bois du Sud. « Ça les change de leur quotidien et ça plaît beaucoup, mais ce n’est pas donné. »

Les bénéficiaires semblent cependant satisfaits. « Beaucoup disent que l’Acapa, c’est leur deuxième maison. » La solution, estime Liliane Condoumy ? Pérenniser les fonds. « Tous les ans, il y a ce gros point d’interrogation avec la crainte que ça baisse. Il faut que ça cesse et qu’on puisse prévoir des projets à long terme.»

 

Collectif Handicaps : « La situation est critique »

Le collectif Handicaps, qui regroupe une trentaine d’associations, subit une baisse de subventions, notamment de la part du gouvernement, « le plus gros financeur ». Celles de la province Sud, après « une grosse diminution il y a trois ans, sont stables », témoigne Morgane Rivoal, secrétaire générale, qui regrette un manque « de visibilité », la structure ne pouvant se projeter au-delà de la fin de l’année. « La situation est critique. Dans huit mois, on perd nos salariés si on n’a pas de rentrée d’argent pour les payer. »

Outre ce risque, le contexte compliqué engendre une perte de temps, d’énergie et d’efficacité. « On passe six mois de l’année à chercher des subventions au détriment de nos actions et puis il faut refaire des demandes chaque année. » Ces financements, qui permettent de payer les salaires, sont nécessaires pour faire fonctionner le collectif. « C’est bien d’avoir des projets, mais si on n’a pas de quoi faire tourner la structure d’abord pour pouvoir les mener… »