[DOSSIER] Olivier Houdan : « La lumière pour réduire les zones d’ombre doit parvenir puissamment »

Historien actif, Olivier Houdan a créé en 2014 une association pour l’édification d’un mémorial en hommage à toutes les victimes des Événements. © Archives C.M.

Dans le processus de réconciliation comme dans la justice transitionnelle, la notion de mémoire est primordiale. Olivier Houdan est historien et membre de l’association Paroles, mémoires, vérité et réconciliation. Il évoque les pistes pour faire émerger un passé commun.

DNC : Dans le nom de l’association Paroles, mémoires, vérité et réconciliation, il y a cette volonté de faire la lumière sur le passé. En quoi cette notion est importante dans le chemin de la réconciliation ?
Olivier Houdan : Le travail de recherche historique que nous menons concerne en premier lieu la période dite des Événements qui a ensanglanté notre pays entre 1981 et 1989. C’est elle qui a motivé notre génération à voter « oui » au référendum du 6 novembre 1988. C’est elle qui a permis d’adhérer au pari sur l’intelligence. C’est elle qui nous a mobilisés à construire plutôt que de détruire. Elle fut le creuset de notre état d’esprit et une grande part de la constitution de notre être. Et pourtant, à l’époque, nous n’avions pas connaissance de l’ampleur et de la profondeur du maelström que les corps et les esprits avaient enduré durant la période honnie des Événements, alors que nous célébrions l’avènement d’une période bénie. Comment les deux principaux leaders des forces politiques d’alors avaient réussi à concilier leurs différences pour et sur une même terre, appris à pardonner et pardonné de ne pas avoir appris ?
Aujourd’hui, Jean-Marie Tjibaou est mort. Jacques Lafleur est mort. Michel Rocard est mort. Et nous devons de nouveau réap- prendre la conciliation. Une conciliation qui n’est par définition que provisoire, le temps que les parties s’entendent à l’amiable. La réconciliation, elle, vise, selon nous, au défi- nitif, à une solution pérenne, à l’enterrement si profond de la hache de guerre qu’elle en demeure introuvable…

Comment y arriver ?
L’ensemble des parties en présence doit s’accorder sur la volonté de solder toutes les rancœurs, tous les sujets délicats, dont certains faits historiques. Faits historiques entre Kanak et Européens mais aussi entre Kanak eux-mêmes. La lumière pour réduire les zones d’ombre du passé doit parve- nir puissamment et de partout. C’est une
condition de la réussite sur le chemin de la réconciliation. Il ne faut pas avoir peur de son rayonnement et de la force de sa chaleur. Bien au contraire. Réjouissons-nous de pouvoir regarder notre histoire en face, les yeux dans les yeux. Elle nous appartient toute entière, c’est la nôtre et elle est le fondement de notre identité collective.

Le comité demande la création d’une commission d’information et de recherche historique sur les faits politiques qui se sont déroulés en Nouvelle-Calédonie entre 1981 et 1989. Quel est l’objectif ?
À l’image de la commission initiée sous les ministères de Victorin Lurel et George Pau-Langevin, anciens ministres des Outre- mer, entre 2012 et 2016, au sujet des faits survenus en Martinique en 1959, en Guyane et en Guadeloupe en juin 1962 et en mai 1967, nous demandons à pouvoir consulter des archives déjà dûment répertoriées et classées et qui concernent des faits ayant eu lieu lors de la guerre civile calédonienne entre le 19 septembre 1981 et le 5 mai 1989.
L’objectif est de complémenter les informations et les connaissances que nous avons acquises depuis une vingtaine d’années, de les comparer, de les recouper, de les superposer afin de pouvoir proposer à nos compatriotes un récit le plus proche possible de la réalité historique tangible. C’est-à-dire une relation des faits qui soit vérifiée, fondée, démontrée à l’aune de documents qui nous sont encore inaccessibles. Leur consultation pourrait alors apporter des éléments nouveaux sur la période qui nous intéresse.

Quels types de documents cherchez-vous ?
Nous recherchons tous types de documents sur la période : photographies, rapports, lettres, comptes rendus, télégrammes, témoignages, etc. La somme de ces supports constitue les matériaux avec lesquels nous travaillons, nous étudions, nous apprenons. Tous relatent des faits, contiennent des informations et ont l’incroyable pouvoir de ressusciter les êtres et les situations, le temps de leur analyse et de leur confrontation avec d’autres documents existants.

Des pièces sont-elles encore inaccessibles aux chercheurs ?
Oui, des documents sont encore gardés hors de la vue des historiens, car ils contiennent des informations susceptibles d’attenter à l’intégrité morale d’éventuels acteurs encore vivants ou de confondre leurs responsabilités dans des actes répréhensibles, quand ce n’est pas d’établir leur rôle dans la commission de crimes.
À titre d’exemple, les documents relatifs aux installations militaires sensibles, à l’arsenal nucléaire ou aux barrages hydrauliques de grande dimension ne sont communicables qu’à partir de 50 ans et souvent prolongés. Pour notre part, nous visons surtout les enquêtes de police judiciaire, les atteintes à la sûreté de l’État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes dans l’unique but de transfor- mer le récit de la période des Événements du mode conditionnel en mode indicatif.

Vous avez présenté la demande d’une commission d’information à Manuel Valls. Quelles ont été ses réactions ?
Une présentation a en effet été faite lors de la rencontre du dimanche 23 février dernier. Le ministre et son entourage nous ont écoutés avec intérêt. Dans la foulée, une note relative à l’avancée de nos travaux et des perspectives envisagées par l’accès aux archives a été adressée à Éric Thiers, conseiller spécial du Premier ministre. Nous avons bon espoir qu’une issue favorable à notre démarche aboutisse rapidement.

Propos recueillis par Fabien Dubedout

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