Comme c’est le cas dans l’Hexagone ou dans d’autres pays du Pacifique, les jeunes représentent une part importante du taux de suicide en Nouvelle- Calédonie. Nathalie Dugand, psychiatre, a répondu à nos questions sur ce sujet.
DNC : Les jeunes sont-ils plus vulnérables face au risque suicidaire ?
Nathalie Dugand : Les questions existentielles et les idées noires sont courantes lors de l’adolescence et de la puberté. C’est normal et physiologique, même s’il ne faut pas le banaliser. Le passage du monde de l’enfance au monde de l’âge adulte est une étape de vulnérabilité, qui amène plus fréquemment à ce qu’on appelle « le passage à l’acte ».
Aussi, il faut savoir que l’adolescent est beaucoup plus impulsif que l’adulte. Il est davantage dans l’action. Les adultes le sont aussi, mais avec une capacité de verbalisation. Par conséquent, lorsqu’à cette impulsivité s’ajoutent des idées noires, il peut y avoir des tentatives.
Depuis les années Covid, le nombre de dépressions a également augmenté. Quand, dans les années 2000-2010, nous étions à une prévalence de 5 à 8 % chez les adolescents, aujourd’hui, depuis les années 2020 et le Covid, elle a augmenté de 8 à 15 %. En post-Covid, le phénomène a été explosif. Et cela s’est également vérifié en Nouvelle-Calédonie.
Pourquoi, selon vous, cette période a-t-elle été un tournant ?
Elle a bousculé les repères des adolescents. Ceux-ci sont généralement le cercle familial, la communauté, la tribu, mais aussi leur monde social, donc en grande partie l’école. Et lorsqu’il y a des bouleversements dans les deux champs, c’est-à-dire à la fois à l’école, avec des classes fermées, un contrôle continu, des modifications dans le brevet ou le bac… Puis, en parallèle, la crainte de la vaccination dans les familles, les deuils successifs… Cela les a angoissés énormément. Le territoire a également été isolé durant cette période. Or, l’isolement contribue au risque de suicide.
Quelles sont les raisons que l’on retrouve régulièrement à l’origine des passages à l’acte en Nouvelle-Calédonie ?
Les violences familiales, les déceptions amoureuses, les incestes et les agressions sexuelles. C’est une catastrophe. L’alcoolisme parental et le harcèlement scolaire aussi. Les réseaux sociaux sont un vrai problème, auquel nous sommes confrontés en pédopsychiatrie. La vie intime n’existe plus. D’un côté, cela excite les adolescents, mais les angoisse aussi énormément.
La déscolarisation est un autre facteur de risque du suicide. Car parmi les moyens de protection, on trouve la scolarisation, la solidité du tissu familial et amical, ainsi que le niveau d’intelligence. Le fait d’avoir des déficiences intellectuelles, un retard mental ou des troubles très sévères de l’apprentissage, est un facteur prédictif.
Lui dire » Je suis là, quoi qu’il arrive » est important.
Existe-t-il suffisamment de structures d’accompagnement pour ces jeunes en souffrance ?
Les structures existent, mais les besoins augmentent plus vite que les ressources, comme dans de nombreux territoires ultra- marins. Nous sommes très peu de pédopsychiatres. En 2022, il y en avait sept. Désormais, nous ne sommes plus que quatre. Cette tension sur les effectifs rend parfois difficile la réponse immédiate à toutes les demandes, mais elle a aussi renforcé la volonté des équipes d’agir autrement. Le CHS travaille à améliorer la continuité des prises en charge, en lien étroit avec les services de pédiatrie du CHT, les associations et les établissements scolaires. L’objectif est d’apporter une aide adaptée le plus tôt possible aux jeunes en souffrance. Depuis le début de l’année, nous avons eu au moins six suicides de mineurs. C’est énorme.
Quels sont les signaux d’alerte ?
Le fait de se couper des relations. Ne plus vouloir aller au collège ou au lycée, ne plus accompagner ses parents à des réunions de famille ou des coutumes, ou même faire les courses. Ou alors, un enfant ou un adolescent qui reste cloitré dans sa chambre, qui se referme sur lui. C’est l’un des premiers symptômes auxquels il faut faire attention. Le mésusage des jeux vidéo, également. Les troubles du sommeil et les troubles alimentaires doivent également alerter. Tout comme la répétition des mises en danger.
Quelle attitude adopter, en tant que parent, à la détection de ces signes ?
Si parler de ce sujet avec son enfant est trop difficile, je recommanderais de demander l’aide d’autres membres de la famille en lesquels l’enfant a confiance. Il est possible de lui demander aussi avec qui il souhaite parler. L’objectif est de remettre de la parole. Il est également important de ne pas être répressif. Ce n’est pas constructif. Lui dire : « Je suis là, quoi qu’il arrive, quoi que tu aies fait » est important. Il ne faut pas qu’il se sente seul.
Propos recueillis par Nikita Hoffmann

