[DOSSIER] Milakulo Tukumuli : « On est sous une tutelle qui ne dit pas son nom »

Milakulo Tukumuli, membre du Congrès et élu de la province Sud, dépeint une situation très inquiétante. © Y.M.

Pour le président de l’Éveil océanien, signataire de l’accord de Bougival, la Nouvelle-Calédonie est plus que jamais dépendante de l’État. Il éclaire pour DNC la situation budgétaire.

DNC : La Nouvelle-Calédonie peut-elle vraiment se relancer avec une annuité de la dette de 7,5 milliards en 2026 et 2027 jusqu’à 9,5 milliards ensuite ?
Milakulo Tukumuli : La réponse est non. On n’a pas attendu pour le dire et je rappelle que l’Éveil océanien a fait partie de la délégation transpartisane de formations politiques du Congrès qui s’est rendue à Paris en septembre 2024 pour demander des subventions et non des emprunts. Nous avons demandé à être traités comme une entité de la République, à l’image de Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Mayotte, et à bénéficier de la solidarité nationale. Nous avions un plan quinquennal. On considérait – et on considère toujours d’ailleurs – qu’il nous fallait cinq ans pour sortir de la crise et 100 milliards de francs par an. En 2025, le gouvernement local a fait un emprunt de 120 milliards de francs. On a retiré 800 millions d’euros, c’est-à-dire un peu moins de 100 milliards de francs. Les estimations étaient donc justes.
L’impasse budgétaire pour 2026, c’est 80 milliards de francs. Il manque 55 milliards de recettes auxquels il faut rajouter les déficits du Ruamm, du régime des retraites, d’Enercal. Comme il reste 200 millions d’euros sur le prêt (23,8 milliards de francs), il faudra aller chercher 500 millions d’euros (près de 60 milliards de francs) dans le projet de loi de finances 2026 (PLF). Ce qui va nous être donnés sous forme d’emprunt sur 2026, alors que nous avons déjà explosé le taux d’endettement…

L’impasse budgétaire pour 2026,

c’est 80 milliards de francs.

Quelle est la voie de secours ?
Il n’y a pas de voie de secours. Il n’y a qu’une seule voie, c’est l’État, le PLF 2026. Il y a aussi la voie du salut : tu te dis que tu vis avec 80 milliards en moins, et à ce moment-là, il faut restructurer le pays pour. Toutes les collectivités, les politiques publiques, la relance économique… Il faut tout gommer. Je prends le régime des retraites. Il manque huit milliards en 2026. Où va-t-on aller les chercher ? Dans les proches de l’État.
Et l’État ne va pas nous prêter sans conditions. Nous avons dit à Claire Durrieu [directrice de la mission interministérielle pour la Nouvelle-Calédonie] qu’il nous faut un plan quinquennal. On ne peut pas demander tous les ans des enveloppes à l’État. On le redit, l’idéal serait des subventions. Et à ce plan de financement, il faut adosser un plan quinquennal de réformes. C’était le PS2R [plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction] de l’époque que le président du gouvernement, Louis Mapou, avait souhaité dissocier [du plan quinquennal].

Que signifie « vivre avec 80 milliards de francs en moins » ?
C’est quasiment la moitié du budget de la Nouvelle-Calédonie. L’assiette classique des dotations, ce sont 110 milliards de francs. Elle va être à 73. La province va récupérer 17 milliards au lieu de 28, c’est 10 milliards en moins. Cela va se répercuter sur l’ensemble des collectivités. Les choix vont donc être : continue-t-on l’aide médicale, les bourses, etc. ?
Mais jusqu’ici, le système était artificiel. En 2019, le train d’investissements pour le BTP s’élevait à 120 milliards de francs pour 270 000 habitants. C’était de la frénésie totale.

Considérez-vous que la Nouvelle-Calédonie est économiquement sous la tutelle de l’État ?
Elle est déjà sous tutelle depuis le 13 mai 2024. On est sous une tutelle qui ne dit pas son nom. Cela se renforce et cela va aller crescendo, parce qu’en plus, nous sommes incapables de voter des réformes qui ont du sens. Plus on va avancer dans l’inertie, plus cela va se voir. La mission de Claire Durrieu, c’est une tutelle. Appelons un chat, un chat.

Vous avez à nouveau demandé que les emprunts soient transformés en subventions. Est-ce possible ?
L’État a toujours dit non. Finalement, après Bougival, ils disent « peut-être, on verra ». Cette éventualité dépend aussi des efforts financiers réalisés par le gouvernement national.

Des réformes sont-elles vraiment réalisables dans le contexte politique actuel et à la veille d’élections ?
Il y a une instabilité en Métropole, une instabilité ici. Et nous entrons dans une période électorale. Et pourtant, nous avons une opportunité de remettre tout à plat et de corriger notre architecture fiscale et sociale. Il n’y aura pas de sous sans réformes, même si elles sont douloureuses. On avance avec la dague dans le dos.
Propos recueillis par Chloé Maingourd et Yann Mainguet.