[DOSSIER] Luc Steinmetz : « La méthode Valls, c’est le refus de la précipitation »

Luc Steinmetz est historien mais aussi un fin observateur de la vie politique calédonienne. © DR

Le ministre des Outre-mer Manuel Valls fait régulièrement référence à ses aînés Michel Rocard et Lionel Jospin. Quel en est le sens ? Le regard de l’historien Luc Steinmetz.

DNC : Comment définiriez-vous l’actuelle méthode Valls ?
Luc Steinmetz : C’est une méthode marquée par la volonté d’apaiser les relations entre tous les partenaires politiques, de dialoguer et d’écouter pour aboutir à un consensus fortement espéré et indispensable. Le tout sans précipitation, bien que le 31 mars approche…
Mais une telle méthode pourra- t-elle concilier des positions inconciliables ? C’est le pari de Manuel Valls. Je note que sa semaine nouméenne s’est bien passée. Le proche avenir dira si la méthode Valls a ses limites.

Manuel Valls voulait s’inscrire dans les pas de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Voyez-vous une filiation ?
La méthode Valls s’inspire des expériences que le ministre a pu faire lorsqu’il était colla borateur de Michel Rocard puis de Lionel Jospin, Premiers ministres au moment des accords de Matignon et de Nouméa. Tous trois socialistes, même si Manuel Valls a rompu avec le PS. Cela crée une « connivence intellectuelle » avec les indépendantistes.
Dans son approche de l’affaire calédonienne fin 2024 début 2025, Manuel Valls est dans une situation différente des ministres Lecornu et Darmanin. Eux sortaient de l’après troisième référendum de décembre 2021 dans la nécessité de réunir tous les partenaires avec l’État pour « examiner la situation ainsi créée » par le troisième non à l’indépendance. Ces deux ministres se sont heurtés aux plus radicaux des indépendantistes qui ont refusé les trilatérales, pourtant prévues par l’accord de Nouméa. Or mai 2024 approchait avec des élections au Congrès et aux assemblées de province, et l’obligation de redéfinir le corps électoral provincial. Jusqu’au moment où l’État a fait ce qu’il avait annoncé : il a lancé la réforme constitutionnelle pour réaliser ce dégel. On sait comment cela a fini : la crise insurrectionnelle et la folie destructrice de mai 2024.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale et les changements de gouvernement, Manuel Valls s’est retrouvé ministre à devoir régler la situation créée par cette crise insurrectionnelle et ses conséquences politiques et économiques. Manuel Valls doit rechercher un avenir institutionnel dans une situation de crise, comme Michel Rocard l’avait été en 1988 après le drame d’Ouvéa. « Filiation contextuelle » avec Michel Rocard dont Manuel Valls aurait aimé se passer, mais qui devient inspirante pour essayer de sortir la Nouvelle-Calédonie de la crise.

Manuel Valls doit rechercher un avenir institutionnel dans une situation de crise, comme Michel Rocard l’avait été en 1988 après le drame d’Ouvéa.

Chaque période a ses particularités, néanmoins les positions non indépendantistes et indépendantistes sont- elles plus conciliables qu’en 1988 et 1998 ?
Les situations de 1988 et 2025 se ressemblent. Leur point commun, la Nouvelle-Calédonie sortait en 1988 d’une période de violences qui avait atteint son paroxysme avec le drame de Gossanah. En 2025, elle est plongée dans les conséquences de la crise insurrectionnelle de 2024. Dans les deux cas, on a une situation conflictuelle exacerbée avec une tentative d’arracher l’indépendance par la force. 1998 a été, mis à part le préalable minier, une étape apaisée avec un référendum local consensuel qui a prolongé la période de paix de Matignon.
Aujourd’hui, avec la succession des trois référendums couperets et l’insurrection de 2024, les positions des deux camps semblent inconciliables. Mais l’ampleur de la crise actuelle sera peut-être porteuse de sagesse. Gardons cet espoir.

Une différence avec 1998 : la situation économique est aujourd’hui dégradée. Ce contexte ne favorise-t-il pas, tant du côté de l’État qui tient les cordons de la bourse que des élus calédoniens, la conclusion d’un accord ?
La situation économique, sociale et je rajoute sanitaire et sociétale, résultat de la folie destructrice de mai 2024, commande aux élus de tous bords l’humilité et la sagesse. L’état dans lequel se trouve la Nouvelle- Calédonie la met dans une situation de plus grande dépendance vis-à-vis de l’État, de la République française.
L’État pourrait être tenté d’en profiter pour pousser à la conclusion d’un accord. Mais alors, de quel côté déplacerait-il le curseur du consensus pour ne pas qu’un camp se sente humilié ? Dénouer ou trancher le nœud gordien ? La méthode Valls sera mise à l’épreuve et jugée à l’aune de sa réussite qu’il faut espérer ou de son échec qu’il faut redouter.

La date butoir du 31 mars reste en tête sans être désormais une échéance couperet. Faudrait-il repousser de quelques mois les élections provinciales ?
La méthode Valls, c’est le refus de la précipitation pour se donner le temps d’écouter, de dialoguer. Mais le ministre a dit aussi que si on veut des élections en novembre 2025, il faut un accord pas trop tard en raison du compte à rebours des procédures législatives et de révision constitutionnelle nécessaires qui permettront la tenue des élections avant la fin de l’année. Or on est déjà le 7 mars. Les repousser poserait un problème démocratique et politique. Le Congrès et les assemblées de province auraient dû être renouvelés le dimanche 13 mai 2024. Leur date de péremption est largement dépassée. Alors…

Propos recueillis par Yann Mainguet

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