[DOSSIER] Louis Mapou : « Je pense que le débat Oui-Non est derrière nous »

Après une succession de graves crises, le président du gouvernement aborde l’année 2023 avec plus de sérénité. Sur un budget qu’il souhaite consolider, il ambitionne d’asseoir les grands axes de sa politique, en forme de préparation à la Nouvelle-Calédonie de demain.

Gouvernance

DNC : Dix-huit mois après votre arrivée, vous semblez stabilisé. Est-ce le signe d’une bonne entente collégiale, d’un apaisement politique ?

Louis Mapou : C’est vrai qu’on ne donnait pas cher de nous. C’était une première pour les indépendantistes. On se demandait si nous serions en capacité de gouverner, si nous n’allions pas mettre l’économie à terre ou ne travailler que pour les Kanak. On a été chahutés. Je considère que la crise sanitaire a été plutôt salutaire pour le pilotage du gouvernement. Cela nous a obligés à nous serrer les coudes et la période fut moins sujette à cultiver les postures.

On finit 2022 avec une conférence sur les salaires que personne n’attendait, normalement de nature à faire monter les enchères. J’observe aussi qu’il n’y a pas eu un conflit qui ait fini sur le bureau du haut-commissaire. Il y a sûrement une conjonction d’enjeux, liée aux difficultés, aux discussions d’avenir, qui poussent à regarder les choses de façon beaucoup plus raisonnable.

Quels défis se posent en 2023 en matière de gouvernance ?

J’en arrive à imaginer quelques réajustements de portefeuilles entre nous. Est-ce que l’on peut optimiser le fonctionnement du gouvernement et son rendement politique sur les bases nouvelles que nous avons construites ? On travaille aussi sur la réorganisation de l’administration pour être plus efficient, faire des économies. Nous organiserons des assises de la fonction publique pour constater le travail engagé. L’idée est aussi de mieux formaliser les instances de concertation.

Le travail sur la relation avec les provinces n’est pas suffisant avec, par exemple, encore des discussions sur les compétences comme l’aide médicale. Avec les communes, est-ce qu’on peut aller plus loin que le simple fléchage des dotations ? On a aussi des compétences croisées, comme la sécurité civile pour laquelle nous définissons une politique de gestion des risques.

Au Congrès, les groupes sont lancés dans des stratégies qui les amènent à proposer eux-mêmes des textes de loi. Ce qu’on pensait exceptionnel est devenu courant. Je comprends qu’ils ont une certaine obligation de montrer qu’ils travaillent. Mais à un moment ça coince, car l’expertise est ici. Il faut que les groupes se consolident, se stabilisent. On a apporté de la sérénité ici, ce serait pas mal qu’il en soit de même au Congrès ou aux affaires coutumières.

On s’est aperçus qu’il y avait quelques « cadavres » qu’on n’avait pas prévus, comme Enercal. »

Finances

Serez-vous en mesure de boucler le budget primitif ?

Le budget 2022 était incertain. On ne savait pas si l’État allait nous suivre sur un deuxième prêt. Et on n’avait pas une bonne exhaustivité des besoins. On s’est aperçus qu’il y avait quelques “cadavres” qu’on n’avait pas prévus, comme Enercal. On a dû prendre des mesures pas évidentes dans une période inflationniste. Cette fois, nous avons fait un séminaire. Le travail se passe de manière plutôt sereine.

En 2023, je veux qu’on consolide les assises financières de la Nouvelle-Calédonie. On espère avoir un investissement qui reste dans les clous, de l’ordre de 7 milliards, à peu près comme l’année dernière.

En plus des nouveaux investissements que les provinces et les communes ont budgété, nous aurons un niveau de commandes publiques qui restera conséquent. Le niveau d’endettement est certes très élevé (NDLR : 255 % contre 80, 90 % normalement), comme partout, mais la règle veut qu’on équilibre, contrairement à l’État. On peut se demander si cette règle ne mérite pas d’être revue, car nous produisons de la fiscalité.

Comment allez-vous atteindre cet équilibre ?

On observe une amélioration des indicateurs en matière d’emploi, d’endettement des ménages, de crédits des ménages et des entreprises, etc. L’inflation s’est accrue élargissant l’assiette de la fiscalité douanière. En matière d’impôt sur les sociétés, d’IRPP, les choses se présentent plutôt bien. Nous avons fini 2022 avec les taxes minières et nous allons poursuivre la réforme fiscale.

On vous a reproché de ne pas avoir attendu qu’une stratégie nickel se dessine… Pourquoi avoir procédé dans cet ordre ?

On avait la chance d’avoir des textes sur le bureau du Congrès avant que l’on arrive. Il n’y a pas besoin d’être un expert ou de définir une stratégie pour constater qu’il est anormal pour un pays comme la Nouvelle-Calédonie de ne pas tirer bénéfice de son patrimoine.

Quels autres textes arriveront dans le cadre de la réforme fiscale ?

On a la TGC. Certains textes sont en cours d’examen au Congrès dont celui porté par l’Éveil océanien sur l’homogénéisation des taux du Ruamm. Les partenaires sociaux sont favorables à un taux unique. Le débat porte maintenant sur le taux, 13,5 % pour l’EO, 9 % pour les patrons. Les partenaires préfèrent qu’on touche à la CCS, impôt indirect qui concerne toute la population, avec un texte déjà au Congrès.

Il y a aussi l’IRPP qui concerne les niches fiscales, les exonérations sociales comme les bas salaires, les secteurs aidés, la taxe sur le sucre. Ma plus grande satisfaction est de constater que l’esprit de réforme a gagné l’ensemble de la société.

Relance

Quand peut-on attendre un plan de relance ?

Pas cette année, parce qu’il faut avoir les moyens de le faire. Ce que je souhaite, c’est qu’on continue à se serrer les coudes. On a deux emprunts. On a réussi à faire adopter une taxe à l’importation qui permet d’honorer notre engagement auprès de l’AFD. Nous verrons si l’État décide de nous accorder une aide supplémentaire.

Une subvention nous permettrait d’esquisser cette relance. On a demandé entre 8 et 12 milliards de francs, mais c’était sans compter les ressources fiscales qui sont en nette amélioration.

Je souhaite que nous puissions aboutir à la composition d’un plan au deuxième semestre, au moment de la rédaction des nouveaux contrats de développement et l’avancée des discussions sur l’avenir institutionnel. On travaille à ce qu’il y ait, fin 2023, un véritable alignement des planètes.

Parlez-nous du forum « Perspectives », prévu au premier semestre…

C’est un travail commencé en 2022 en vue de l’élaboration d’un nouveau modèle calédonien. Le système de financement des politiques publiques est-il toujours d’actualité ? Le ratio 80/20 % entre les cotisations et la fiscalité semble déséquilibré. Il faut regarder les choses dans leur ensemble.

Cela fait pourtant partie des réflexions engagées par l’État…

Le format des groupes de travail ne convient pas à tout le monde. Est-ce que notre format peut aider ? Cela peut être plus simple, avec cette impression de ne pas vouloir se faire “voler” ce qui est de notre responsabilité. Est-ce qu’on aurait dû attendre l’aboutissement des grandes discussions ? Je crois que la Nouvelle-Calédonie ne sait pas faire ça. Et j’ai l’impression que fin 2023, on va pouvoir tirer la substance de cette Nouvelle-Calédonie de demain.

Le pouvoir d’achat s’étiole, les inégalités persistent…

C’est ma grande frustration. Il y a ici une propension en matière de pouvoir d’achat à se polariser sur la nécessité d’augmenter les salaires. On veut réduire les décalages entre les salaires du public et du privé, mais le système de rémunération tire les prix vers le haut. Vous pouvez augmenter tous les salaires que vous voulez, s’il n’y a pas une action parallèle sur les prix et les marges, c’est une fuite en avant. Il faut entrer dans le processus de formation des prix. Cela fera partie du forum Perspectives.

Sur les USA, on a bien senti que le gouvernement central a eu du mal à nous refuser ce déplacement. »

Relations internationales

Après la Maison-Blanche en 2022, où irez-vous en 2023 ?

C’était inattendu ! La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont pris tout d’un coup les projecteurs. C’est surtout notre entrée au sein du Forum des îles du Pacifique qui nous a fait franchir un palier. Maintenant, nous avons des devoirs vis-à-vis de la communauté régionale, un engagement sur la sécurité, le Plan 2050.

Ça nous renvoie aussi à la façon dont on gère cette compétence partagée.  Il y a des codes à l’international sur lesquels il faut qu’on se familiarise. Et il faut que la Nouvelle-Calédonie définisse ce qui la caractérise dans ce domaine.

Vous êtes accompagnés par l’État dans cette représentation ?

Pour le FIP, la CPS, les organismes multilatéraux dont on est membre, on est autonome. Et des événements comme celui des USA ont eu le mérite de bousculer cette espèce de modus operandi qu’on avait. On a bien senti que le gouvernement central a eu du mal à nous refuser ce déplacement. Mais que s’il avait pu, il ne nous aurait pas autorisé à y aller.

Notre appartenance à la région nous donne une place importante, que nous avons envie d’occuper avec beaucoup plus de volontarisme, mais avec des difficultés. Nous avons demandé l’avis du gouvernement sur l’accord commercial avec le Vanuatu et l’intégration du groupe Fer de lance mélanésien sans réponse formelle du ministère des Affaires étrangères…

La Nouvelle-Calédonie est mature. Il appartient aux responsables de le constater. »

Avenir institutionnel

Le haut-commissaire pense qu’un dernier pas reste à franchir – que les postures tombent – pour trouver une solution consensuelle. Qu’en pensez-vous ?

Que c’est simple pour lui de le dire maintenant… Mais ce n’est pas simple pour des petits peuples. Les postures font partie du système. Beaucoup n’étaient pas prêts à accepter que ce soit un Kanak qui prenne la présidence. Comment on qualifie cela ? C’est pour cela que c’était un véritable défi pour nous. Je dirais plutôt que les choses sont arrivées à un niveau de maturité.

Quel regard portez-vous sur les discussions de 2023 ?

Ce qui est en cours rappelle de façon critique que le débat du Oui et du Non est celui qui empoisonne la vie. Même si malgré tout, on a réalisé tout ce qui était prévu statutairement par l’accord. Je pense que ce débat est derrière nous.

Quand vous entendez le ministre de l’Intérieur, pas réputé pour être un pro indépendantiste ou un pro Kanak, dire qu’il faut donner plus de souveraineté à la Nouvelle-Calédonie et au gouvernement, vous vous demandez ce qu’il s’est passé. Il ne s’est rien passé, c’est juste que la Nouvelle-Calédonie est mature. Il appartient aux responsables de le constater.

De plus en plus, les postures vont irriter. Il n’y a rien pour les nourrir. Ça y est, on a fait le tour ! On retombe sur la réalité. Et la réalité, c’est que les gens sont capables.

Propos recueillis par Chloé Maingourd

Louis Mapou souhaite « une bonne année à la Nouvelle-Calédonie » et formule le vœu que « chacun fasse en sorte que 2023 soit meilleure pour tous ».

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