[DOSSIER] Loin d’un retour à la normale

Un policier calédonien, placé en tête de colonne, vient expliquer l’opération à venir. (© G.C.)

Le Grand Nouméa reste plongé dans le chaos, au mieux dans le désordre, dix jours après le début des violences. Des quartiers restent aux mains des manifestants et émeutiers. L’action des forces de l’ordre n’est visiblement pas aisée, à tel point que les effectifs doivent être renforcés.

Le 17 mai, l’agglomération vivait pour la première fois depuis quatre jours une situation « plus calme et apaisée », comme la qualifiait alors le haut-commissariat. L’état d’urgence avait été décrété le 15 mai et les premiers renforts de sécurité intérieure, de sécurité civile et militaires ainsi que du matériel étaient acheminés depuis la Métropole dans le cadre d’un pont aérien.

Plus de 1 100 policiers et gendarmes supplémentaires (avec GIGN et Raid) pour un total de plus de 2 800. Avec aussi des pompiers et des militaires de la Sécurité civile pour le déblaiement des barrages. Les militaires du territoire ont également été mobilisés.

De l’espoir après un cauchemar ayant déjà coûté la vie à cinq personnes (décompte qui viendra s’alourdir le 18 mai avec le décès à Kaala-Gomen). Pour preuve, l’acclamation des cortèges par les populations, observée aux abords de l’aérodrome de Magenta. Invité de France 2 jeudi 16 mai, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, promet que « dans les heures qui viennent, l’État reprendra totalement le contrôle ».

OPTIMISTES

Mais la « reprise » n’est aussi facile. Dimanche 19 mai, une file de 600 forces, dont une centaine du GIGN, est lancée pour libérer la RT1 reliant Nouméa et Tontouta. 76 barrages sont alors « neutralisés ». Une quinzaine de ces points sont délestés de leurs déchets (carcasses de véhicules, etc.). Ces retraits se font dans les deux sens de circulation, sous protection. Dans la soirée, le haut-commissaire annonce la reprise de cet axe stratégique, mais évoque avec le général Matthéos une opération compliquée. Des barrages sont notamment piégés avec des bonbonnes de gaz. Il en reste alors tout de même « une bonne quarantaine à traiter ».

Dans le même temps, des opérations de maintien de l’ordre se tiennent dans les quartiers chauds avec le concours des militaires du GIGN et des policiers du Raid. Louis Le Franc pense qu’ils pourront « rétablir l’ordre dans l’ensemble de l’agglomération […] dans les jours qui viennent », que le « rapport va s’inverser très vite sur la ville de Nouméa et les communes périphériques ».

« TOUJOURS L’ENFER »

Dans les jours suivants, 14 barrages supplémentaires (90 au total) sont levés et progressivement nettoyés sur le principal axe routier. Certains réapparaissant très vite. Chaque nuit est aussi émaillée d’incendies et de pillages, quoi que moins nombreux. À la Vallée-du-Tir, Rivière-Salée, Kaméré, Montravel, Logicoop, Dumbéa et Païta, les habitants ne voient pas le bout du tunnel. Mercredi 22 mai, depuis Kaméré, Louisa* évoque son incompréhension. « On ne nous laisse pas sortir. On est démunis, rien n’a changé et c’est toujours l’enfer. Comme on est un quartier populaire, on a l’impression que tout le monde s’en fiche. »

Le même jour à la Vallée-du-Tir, Valérie explique que les accès sont aussi bloqués aux voitures. « C’est impossible de circuler par le haut, seulement par la rue vers le rond-point Patch, et il y a une bonne quinzaine de barrages disséminés un peu partout. » Des carjacking ont été recensés à Auteuil. La situation est aussi restée fragile à Magenta, où des drapeaux blancs ont fleuri, des barrages nettoyés avant d’être réinstallés.

Une bonne nouvelle cependant, 21 commerces alimentaires ont pu rouvrir et être progressivement approvisionnés. Mais encore une fois, certains quartiers n’ont accès à rien et d’autres sont condamnés à de longues queues et à des portions rationnées. Même si chacun a pu observer la générosité s’exprimer, le temps se fait très long.

Lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale juste avant son départ, le ministre de l’Intérieur a concédé que subsistaient des « poches de non-droit ». Gérald Darmanin annonce une nouvelle vague de renfort avec six escadrons de gendarmerie, de CRS, etc. Il se défend de tout manque d’anticipation. « Il y avait 1 700 policiers et gendarmes […] sur une île de 250 000 habitants, c’est vraiment beaucoup de monde […]. Pour les référendums, on était très en deçà. »

 

ASSIGNATIONS
Gérald Darmanin a évoqué 29 procédures d’assignation à résidence, dont 17 ont été notifiées. Elles concernent « des personnes souvent membres de la CCAT, susceptibles d’avoir organisé des éléments subversifs, d’encouragement à la subversion ou d’appels à la violence ».
ENQUÊTES
La justice a ouvert une enquête pour homicide volontaire avec préméditation pour l’assassinat du jeune gendarme à La Coulée. L’auteur était « identifié » mais pas encore interpellé mercredi 22 mai, selon le ministre de l’Intérieur. L’enquête pour homicide involontaire sur le deuxième gendarme a été confiée au parquet de Paris, compétent en matière d’infractions militaires.
Trois personnes ont été mises en examen pour meurtre et assignées à résidence sous surveillance. Elles sont suspectées d’avoir tiré en direction de manifestants dans un contexte de menaces à Tindu, où le garçon de 20 ans a été tué d’une balle dans le dos. Un homme a été mis en examen et placé en détention provisoire pour des tirs présumés sur un homme de 36 ans et d’une femme de 17 ans supposément en train de voler son véhicule dans son entrepôt.
Les investigations se poursuivent dans le cadre du meurtre et de la tentative de meurtre à Kaala-Gomen, où un homme a été tué après avoir foncé sur un barrage. Le parquet a enfin ouvert une enquête visant les commanditaires des exactions, notamment les responsables de la CCAT.
Pour la justice, « l’enchaînement des événements laisse supposer une préparation, une organisation, une planification et des moyens intégrant un ciblage d’objectifs particulièrement sensibles ».

 

SPÉCIALISTES 

Lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale mardi 21 mai, Gérald Darmanin a expliqué avoir dépêché sur le territoire la numéro 2 de la police nationale, des spécialistes de commandement et de soutien, deux sous-préfets, 12 spécialistes des interventions en milieu carcéral… Une protection a aussi été proposée
à l’ensemble des élus calédoniens pour lesquels il existe de graves menaces.

GARDE À VUE 

276 interpellations ont donné lieu à 248 gardes à vue parmi lesquels figurent une trentaine de mineurs, a indiqué Gérald Darmanin avant son départ pour la Nouvelle-Calédonie. Selon le point formulé par le procureur de la République mardi 21 mai, elles concernent en majorité des atteintes aux biens et aux personnes, dont une partie relevant des forces de l’ordre. Des détenus en fin de peine sont libérés ou transférés dans le Nord pour faire de la place au Camp-Est. Des transferts vers la Métropole ne sont pas écartés.

Chloé Maingourd