[DOSSIER] « L’incompréhension » au Médipôle

L’hôpital est « un sanctuaire de valeurs de travail ensemble, de vivre ensemble et de soigner ensemble », considère Thierry de Greslan. (© Médipôle)

Isolé depuis le début des émeutes, le Médipôle peine à renouveler ses équipes de soignants et estime que « plus de 50 % des patients » n’arrivent pas jusqu’à l’hôpital.

« La situation est toujours difficile », souligne Leslie Levant, directeur général du CHT. Les problèmes d’accès à la structure de soins affectent grandement le quotidien des équipes, dont certaines sont sur place depuis parfois six jours. 700 agents en assurent le fonctionnement. « Ils ont pris beaucoup de risques pour venir, c’est une mobilisation hors du commun », reconnaît Leslie Levant.

Thierry de Greslan, médecin et président de la commission médicale d’établissement, parle d’un « dévouement exceptionnel » et se dit « impressionné » par « la motivation et le courage de chacun ». La principale problématique à laquelle est confrontée la direction est le renouvellement des effectifs. « Les équipes se fatiguent, cela nous inquiète », témoigne Leslie Levant. Si certains personnels peuvent être acheminés grâce à un système de navettes maritimes, d’autres « sont coincés à Dumbéa, Païta ou au Mont-Dore ».

Rejoindre le Médipôle reste compliqué. « Nous sommes toujours bloqués et nous n’avons aucune visibilité », déclare le directeur, mardi 21 mai. Cette atmosphère pèse sur le moral des soignants. « Ils le vivent comme tout le monde, les gens ont peur. Et il existe une incompréhension sur le fait que l’axe ne soit pas sécurisé, pourquoi l’hôpital n’est pas considéré comme une priorité. Cela fait augmenter le stress. » Une cellule de soutien psychologique a été constituée.

Le matériel commence à être affecté. À défaut de tenues professionnelles propres, le corps médical est contraint d’utiliser des tenues à usage unique depuis mardi matin. Une « tension » se fait sentir sur l’oxygène en bouteille. Autre souci, « les déchets s’accumulent ». Au niveau alimentaire, « on fonctionne avec des rations militaires ». En revanche, des envois de poches de sang de Polynésie et de l’Hexagone ont permis de reconstituer les stocks.

« TRAUMATOLOGIE DE GUERRE »

Malgré tout, insistent les deux responsables, l’activité est assurée. « On travaille comme on doit et on assume nos tâches », affirme Thierry de Greslan. Depuis une semaine, l’établissement de santé reçoit beaucoup de victimes. « Il s’agit d’une traumatologie de guerre, avec des blessés par balle, des brûlés… Il y en a moins depuis 24 heures. »

L’accidentologie n’est pas en reste. Le neurologue lance un appel. « Je demande aux gens de faire attention, car ils se blessent en voulant se protéger. Cela ajoute de la crise à la crise. » Si les consultations et l’hospitalisation de jour sont toujours suspendues, les urgences ont repris du service. Mais, « plus de 50 % des patients n’y arrivent pas ».

Le président de la commission médicale d’établissement insiste sur la nécessité « de ne pas surcharger le centre d’appel du Samu sans raison » et, dès que la circulation sera rétablie, sur le fait « de ne pas venir en masse », ce qui « risquerait de tout saturer ». Les chimiothérapies seront rouvertes en priorité, en raison des retards de traitement.

Le hall d’accueil s’est lui transformé en hébergement de fortune pour les malades guéris qui ne peuvent rejoindre leur domicile. Ils sont nourris et disposent de lits picots. « Entre 50 à 60 personnes sont là tous les jours, avec une vingtaine d’entrées et de sorties quotidiennes. » Parmi elles, des mamans avec leur nouveau-né. La semaine dernière, 60 bébés ont vu le jour au CHT.

 

UN POSTE MÉDICAL AVANCÉ
À L’ENTRÉE DE NOUMÉA

Christian Decanlers, médecin chef de la Sécurité civile, dans un box équipé pour prendre en charge les urgences absolues, c’est-à-dire les patients dans les états les plus graves. (© A.-C.P.)

Dès mardi 14 mai, les routes étant bloquées, un poste médical avancé (PMA) a été installé dans les locaux de l’ancien CHT Gaston-Bourret à l’entrée de la ville, « un site sécurisé », précise Christian Decanlers, médecin chef de la Sécurité civile.

La structure est organisée en « médecine de catastrophe », c’est-à-dire qu’elle peut prendre en charge un afflux massif de malades si besoin. La priorité est de parer aux « urgences absolues », comme les hémorragies ou les problèmes respiratoires. « L’objectif n’est pas de les soigner ici, ce n’est pas un hôpital, mais de les stabiliser afin qu’ils puissent être évacués le plus rapidement possible vers le Médipôle par voie aérienne », explique le Dr Christian Decanlers.

Depuis une semaine, le PMA a traité une cinquantaine de patients, dont quatre urgences absolues, trois policiers de la BAC blessés par balle et un malade du Camp-Est. Un décès est à déplorer, celui du « motard civil qui n’a pas vu une carcasse de voiture et s’est encastré dedans ».

SURTOUT DE LA MÉDECINE GÉNÉRALE

La médecine générale représente cependant la principale occupation. « Les pathologies courantes, les ruptures de traitement, etc. La majorité des gens ont pu retourner chez eux. On a, en revanche, envoyé au Médipôle une petite fille blessée qui avait reçu un projectile. » Dans le long couloir, également, une salle de naissance. « On accueille des futures mamans, trois enfants sont nés ici. » Des moments particulièrement émouvants. « La naissance c’est la vie, une lueur d’espoir. »

Chaque jour, deux médecins, trois infirmières et une équipe médicale de réanimation sont sur place. La Sécurité civile et le Samu sont secondés par des professionnels libéraux volontaires, des soignants de la Cafat et, depuis lundi, des pompiers de Paris.

 

Anne-Claire Pophillat