[DOSSIER] L’État perd des points dans la région

Au nom du Fer de lance mélanésien, le Premier ministre vanuatais, Charlot Salwai, rend l’État responsable de la situation en Nouvelle-Calédonie. (© Florence Lo / AFP)

Aucun gouvernement voisin n’a apporté son soutien à Emmanuel Macron, qui est désigné responsable de la situation par les alliés des indépendantistes. Très discret, le gouvernement australien est incité par la chercheuse Nicole George à revoir ses relations avec la France.

Le Groupe Fer de lance mélanésien a été parmi les plus prompts à réagir. Jeudi 16 mai, trois jours après le début des émeutes à Nouméa, l’alliance qui regroupe les Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu et les Salomon a apporté son soutien à son cinquième membre, le FLNKS. « Ces événements auraient pu être évités si le gouvernement français avait été à l’écoute et n’avait pas imposé le projet de loi constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral », a déclaré le président du groupe, le Premier ministre vanuatais Charlot Salwai.

Comme à son habitude, le Polynésien Oscar Temaru s’est lui aussi empressé de soutenir ses homologues indépendantistes. Vendredi 17 mai, le président du Tavini a exprimé son « soutien au peuple kanak dans l’épreuve qu’il subit actuellement du fait des manœuvres de l’État français ». Oscar Temaru désigne Emmanuel Macron comme « le premier des responsables des morts en Nouvelle-Calédonie et des dégâts matériels », et réclame qu’une mission des Nations unies soit dépêchée « en Nouvelle-Calédonie Kanaky » pour arbitrer des négociations sur « un calendrier d’accession automatique à l’indépendance dans un avenir n’excédant pas cinq années ».

AUSTRALIE ET NOUVELLE-ZÉLANDE, SANS GRAND COMMENTAIRE

Mercredi 22 mai, l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’avaient réagi aux émeutes que par des annonces visant à rassurer leurs ressortissants bloqués en Nouvelle-Calédonie, dont le rapatriement s’organise progressivement. Les deux grands voisins se sont abstenus d’apporter le moindre commentaire sur les violences, les morts, et a fortiori sur la question des responsabilités. « Les autorités françaises nous fournissent des points réguliers. La situation est vraiment préoccupante », a simplement déclaré le Premier ministre australien Anthony Albanese, dont l’arrivée au pouvoir en 2022 avait amorcé un réchauffement des relations entre Canberra et Paris, passablement refroidies sous Scott Morrison par l’annulation de l’achat des sous-marins français, un contrat de plus de 50 milliards d’euros (6 000 milliards de francs).

« Il est temps pour l’Australie de se préoccuper de l’injustice de cette situation à nos portes en s’inspirant des positions qui ont été les siennes au milieu des années 1980 », a plaidé lundi 20 mai la chercheuse en sciences politiques Nicole George, alors bloquée à Nouméa, dans une tribune publiée sur le site web de The Conversation.

La professeure à l’Université du Queensland, spécialiste des études de conflits, rappelle que son pays avait pris position en faveur de l’inscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, dans la lignée du soutien apporté au Fer de lance.

En réaction, Paris avait expulsé de Nouvelle-Calédonie le consul général d’Australie, John Dauth, en janvier 1987. Depuis les accords de Matignon et le lancement du processus de décolonisation, Canberra s’est durablement montrée « plus conciliante » vis-à-vis de Paris.

« UN PROBLÈME DE SÉCURITÉ DANS LA RÉGION »

« Ces derniers jours, le problème de cette position [diplomatique] est apparu au grand jour », estime Nicole George, qui pointe « l’incapacité de la France à prendre compte le mécontentement au sein de la population kanak et les profondes inégalités qui existent en Nouvelle-Calédonie ».

Autre question, celle de la géopolitique. Longtemps vue « comme une puissance démocratique stable, face à la Chine », la France est-elle en train de générer de l’instabilité ? « Les [dirigeants] du Pacifique perçoivent l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie comme un problème de sécurité dans la région, et pas seulement une crise domestique entre Nouméa et Paris », assure le journaliste australien Nic Maclellan, dans un article paru dans les Échos, le 17 mai.

 

AMNESTY INTERNATIONAL S’INQUIÈTE

« Les autorités françaises doivent préserver les droits du peuple kanak », a déclaré, vendredi 17 mai, l’organisation de défense des droits de l’homme. La violence « profondément inquiétante » et la réponse des autorités françaises « doivent être analysées à la lumière d’un processus de décolonisation au point mort, des inégalités entre ethnies et des aspirations à l’autodétermination exprimées pacifiquement et de longue date par le peuple autochtone ».

Amnesty International ne voit pas non plus d’un bon œil l’interdiction de TikTok, qui pourrait devenir « un dangereux précédent pour justifier, en France ou ailleurs, le blocage des réseaux sociaux en réaction aux mouvements de contestation ». Cette interdiction, inédite dans un pays européen, est devant le Conseil d’État après une action de la Ligue des droits de l’Homme.

 

Gilles Caprais