Divers indicateurs témoignent d’une accélération de la précarité au sein de la société calédonienne. La liste n’est malheureusement pas exhaustive…
♦ LOGEMENT
La Société immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC), qui héberge 27 000 personnes, a enregistré une multiplication par 3,6 de la moyenne du taux d’impayés mensuels des locataires : le ratio, qui était de 2,48 % de mai à octobre 2023, est passé à 8,95 % sur la même période en 2024.
La variation des impayés sur un an glissant a doublé, évoluant de +259 millions de francs à fin octobre 2023 à +523 millions à la même période de 2024. « Depuis le 13 mai, plus de 3 000 nouvelles familles locataires ont connu une situation d’impayé, 3 000 de plus par rapport à la situation d’avant la crise, indique la SIC. Parmi elles, 59 % le sont toujours. » Les principaux publics touchés sont les familles (33 %) et les seniors (23 %), ainsi que les familles monoparentales (15 %).
Face à la lenteur de la mise en place des allocations de chômage total spécifique, les clients en perte d’emploi ne peuvent plus payer leur loyer, car ils priorisent leurs dépenses sur l’alimentation, dont les prix d’ailleurs connaissent une forte inflation : +7,3 % sur un an à fin septembre. En outre, depuis le 13 mai, la SIC a traité 1 386 demandes d’aide au loge- ment territoriale (ALT), soit environ 250 par mois, contre 80 auparavant. Le nombre a donc plus que triplé.
« Cette hausse des demandes confirme la dépendance accrue des locataires au régime de l’aide au logement, lequel connaît par ailleurs des difficultés de financement, les aides n’étant plus versées aux bailleurs depuis août », mentionne la Société immobilière de Nouvelle-Calédonie. La SIC, dont les équilibres financiers sont très affectés, poursuit son accompagnement social des familles en difficulté.
♦ COMPTE BANCAIRE
Sur les trois premiers trimestres 2024 par rapport à la même période en 2023, les demandes de droit au compte ont progressé de 23 %. Par « droit au compte », il faut comprendre une procédure permettant à toute personne physique ou morale qui s’est vue refuser l’ouverture d’un compte par une banque de saisir l’Institut d’émission d’outre-mer pour désigner un établissement et accéder à des services bancaires de base. Une hausse de cet indice n’est donc pas forcément un bon signe.
♦ TROC
Le marché de la seconde main, déjà en pleine expansion avant les émeutes, est aujourd’hui très fréquenté pour des raisons évidentes d’accès à des produits aux coûts avantageux. Une autre option est prisée. Créateur en décembre 2023 du groupe Troc du Caillou Nouvelle-Calédonie sur un réseau social « pour aider les gens », Patrick James a vu s’élargir avec vigueur le cercle des adhérents, pour en compter aujourd’hui 8 807. Le nombre de visites par jour, établi avant le 13 mai entre 300 et 600, a grimpé peu après l’éclatement de l’insurrection à 1 800, voire 2 900 et même 3 423.
Amorcée dès la mi-août, une chute de la fréquentation du groupe s’est accélérée à partir du 1er octobre. Une baisse sérieuse qui interroge. « Il y a deux hypothèses. Soit les gens disposent de tout, soit ils n’ont plus rien à troquer », analyse Patrick James qui a établi des statistiques : près de 68 % des visites du groupe sont opérées par des femmes, et les Nouméens représentent plus de 54 % des membres.
♦ CONSOMMATION
« Plusieurs indicateurs suggèrent une chute marquée de la consommation des ménages au 2e trimestre », écrit l’IEOM. Lors de la première semaine des émeutes, les paiements et les retraits par carte bancaire s’établissent à 2,2 milliards de francs, contre 5,2 milliards à la même période de 2023.
La production de prêts personnels et à la consommation s’effondre, celle de crédits à l’habitat est également en fort repli, le nombre d’immatriculations de véhicules particuliers neufs fléchit… « Malgré un rebond lié à la réouverture progressive des commerces, la consommation des ménages au 2e trimestre paraît largement inférieure à celle observée au 2e trimestre 2023. Cette baisse de la consommation serait plus importante que celles observées lors des confinements liés à la pandémie en 2020 et 2021 », poursuit l’Institut. Toutefois, selon ses analyses, les indicateurs de vulnérabilité des ménages n’indiquent pas encore de dégradation significative au 2e trimestre.
D’après l’IEOM, le nombre de personnes physiques interdites bancaires est en légère hausse sur le trimestre (+1,8 %). Et celui de particuliers s’étant vus retirer leur carte bancaire progresse de 15,6 % sur la même période. En outre, sur les trois premiers trimestres de l’année, les paiements et retraits par carte bancaire se replient de 8 %, comparé à 2023. Un mouvement très inhabituel.
Yann Mainguet