[DOSSIER] Les marinas en eaux troubles

Ce bateau vendu 150 millions de francs pour une valeur « normale » de 190 millions, racheté par un homme d’affaires de la région, partira prochainement en Papouasie-Nouvelle-Guinée. © M.D.

La situation économique fait tanguer le marché nautique. Si les marinas affichent complet, la demande locale s’essouffle et la clientèle évolue. Une situation compliquée pour les professionnels de l’accastillage et de la réparation navale, contraints à la diversification pour s’en sortir.

Les ports de plaisance de Nouméa restent fréquentés. « Aujourd’hui, on est à 160 ou 170 bateaux habités, contre 140 ou 150 avant », indique Sébastien Fellmann, directeur des ports de la Sodemo, qui gère plusieurs marinas de la capitale. Une légère hausse qu’il estime « peu significative » sur le fond. « Cela ne traduit pas un changement majeur dans les modes de vie à bord, nuance-t-il. Ce sont des variations qui s’expliquent par des situations individuelles, pas par une tendance lourde. »

Au mouillage, la chute est néanmoins plus nette, certaines zones se sont dégarnies de manière ostentatoire. « On est passés de 80 à 90 contrats annexes à 40 ou 50 », précise-t-il. Ces contrats, qui permettent aux plaisanciers vivant au mouillage de bénéficier de certains services du port, illustrent une tendance à la baisse.

« UNE VRAIE CATASTROPHE »

Constatant une diminution de la demande locale de place au port, le capitaine d’un autre port, qui préfère garder l’anonymat, se déclare inquiet au sujet des visiteurs qui se font beaucoup plus rares et en particulier les superyachts. « C’est une vraie catastrophe, estime-t-il. Il y a quelques années, on devait refuser certaines unités faute de place. Main- tenant, ce n’est plus le cas… »

Selon lui, l’image dégradée de la Nouvelle- Calédonie par l’insurrection du 13 mai contribue à cette désaffection. Il l’illustre notamment par un Australien qui a récemment annulé son voyage, refusant de se déplacer avec un garde du corps qu’il pensait nécessaire.

Du côté des magasins d’accastillage, la situation est plus sensible. Pour Christophe Besson, directeur de Marine Corail, la baisse d’activité est indéniable. « Même si on a encore des clients, le panier moyen a fondu. Les gens veulent faire eux-mêmes les travaux, ce qu’on ne recommande pas forcément. » La baisse de fréquentation des ateliers se traduit par une réduction des effectifs : « On est passés de 18 à 14 salariés. On n’a jamais été en sureffectif, donc c’est un vrai effort pour l’équipe », souligne le chef d’entreprise. Face à cette situation, Marine Corail a dû repenser son modèle économique en se diversifiant, au travers de nouvelles offres comme du matériel de jardin ou encore une armurerie.

Si ces projets de diversification étaient déjà envisagés avant la crise, les émeutes ont précipité leur mise en œuvre. Malgré ces initiatives, la situation reste tendue. « Comme tout le monde, notre trésorerie est très limite. On surveille ça de très près », confie-t-il. L’objectif de l’entreprise est clair : maintenir l’activité, préserver les emplois restants et s’adapter à un marché local fragilisé, tout en diversifiant les sources de revenus pour assurer la pérennité de la structure.

« ALLER CHERCHER À MANGER »

Un autre commerçant du secteur révèle quant à lui une hausse un peu inattendue en matière de vente de certains équipements d’accastillage, confirmant la tendance des Calédoniens à réaliser leurs travaux eux-mêmes. « Les gens ont ressorti les vieux bateaux au fond du jardin pour aller chercher à manger, raconte-t-il. Ils ont remis en conformité leurs armements de sécurité, racheté du matériel de pêche et de quoi réparer leurs remorques. »

Un pic d’activité ponctuel, qui n’a pas suffi à redresser la situation sur le long terme. « Cette hausse ne compense malheureusement pas les pertes que l’on enregistre sur les autres activités », insiste encore le commerçant. « Pendant les émeutes, on a attaqué la trésorerie, et aujourd’hui, on tient grâce au chômage partiel. Mais le finance- ment de cette aide n’est pas garanti, et les perspectives restent mauvaises. »

Sur le terre-plein de Nouville, la zone dédiée à un large éventail de métiers autour de la mer, l’activité est calme. « Très calme », constate Christophe Besson. « Il y a plusieurs raisons différentes », analyse-t-il, tout en jugeant difficile de savoir si la situation relève de la conjoncture ou d’une tendance plus profonde.

Il estime cependant que c’est l’ensemble du marché nautique qui évolue, et pas seulement en Nouvelle-Calédonie. « Après le Covid, le prix des bateaux neufs a explosé », explique le directeur de Marine Corail. « En Australie ou en Asie, le pouvoir d’achat a suivi. Ici, ce n’est pas le cas. Un bateau neuf, qui était accessible à une famille il y a dix ans, ne l’est plus du tout aujourd’hui. » Selon lui, la production mondiale commence à s’adapter, ce qui pourrait entraîner une baisse des prix dans les années à venir. En Nouvelle-Calédonie, toutefois, l’avenir reste incertain, étroitement dépendant d’une reprise économique encore fragile.

M.D.

Révisions

L’activité de carénage a connu un ralentissement très net pour les petites et moyennes embarcations. Elle se maintient davantage pour les plus grosses unités. Certaines subissent des travaux avant d’être cédées à des clients étrangers.