[DOSSIER] « Les exploitations se dirigent vers la polyculture »

Jean-Christophe Niautou est maraîcher sur la commune de Farino. (© Archives Y.M.)

Jean-Christophe Niautou est président de la Chambre d’agriculture et de la pêche depuis janvier 2023. Les émeutes ont bousculé son plan d’action. Toute la profession doit aujourd’hui se réinventer.

DNC : Comment le secteur agricole a-t-il vécu la crise du 13 mai ?

Jean-Christophe Niautou : J’ai envie de reformuler la question. Comment a-t-on vécu cette crise supplémentaire ? En plus du Covid, de la guerre en Ukraine, du 13 mai, nous avons eu aussi La Niña, la sécheresse et nous subissons la crise la plus importante : le changement climatique.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées ?

Nous nous sommes très vite vus confrontés à des problématiques purement logistiques. Quand le seul axe routier qui mène vers le principal centre de consommation est bloqué, vous n’avez plus de possibilité de vendre votre marchandise et de recevoir les intrants nécessaires [engrais ou aliments pour les animaux] et le carburant.

Comment a réagi la Chambre d’agriculture et de la pêche?

La Chambre a fait de la gestion de crise au sens propre, c’est-à-dire identification des besoins, traitement des urgences et gestion de logistique avec des barges et des bateaux.

Des productions ont-elles été perdues ?

Des parcelles ont dû être détruites : soit les cultures arrivaient à terme et ne trouvaient pas de marché, soit elles étaient en concurrence avec les parcelles précédentes. Malgré tout, les exploitants ont tenu leur planning de plantation.

Et concernant l’élevage ?

Les deux abattoirs de l’Ocef, à Païta et à Bourail, étaient inaccessibles durant cette période. Dans les élevages bovins, les animaux étaient à la peine dans les pâturages. Dans les élevages porcins, vous n’aviez pas les aliments suffisants. On a eu une très forte mortalité. Aujourd’hui, on a un planning d’abattage complètement décalé. Cela nous amène à un chiffre ahurissant, on devrait avoir d’ici la fin d’année entre 1 000 et 1 500 tonnes de viande surgelée en stock.

Les principaux axes routiers ont rouvert. Les problématiques sont-elles les mêmes ?

20 % des surfaces commerciales du Grand Nouméa ont été détruites. Avant le 13 mai, 70 % de la production agricole calédonienne était vendue via la grande distribution. Or, nous sommes dans un pic de production. On se retrouve avec un afflux important de marchandises et des consommateurs qui ne sont pas présents ou n’ont pas les moyens.

Début mai, la CAP-NC s’apprêtait à présenter son plan d’action jusqu’à fin 2027. Quels sont les objectifs maintenant ?

Aujourd’hui, cette stratégie est tournée vers des objectifs beaucoup plus opérationnels. La mise en marché a été la première problématique. On a tout de suite développé des marchés de proximité. La nature a horreur du vide. Notre objectif est double : pouvoir fournir les consommateurs là où ils habitent et permettre à nos exploitants de vendre leurs produits aux meilleurs tarifs.

Un afflux important

de marchandises et des consommateurs absents.

Avez-vous d’autres pistes de développement ?

Un autre élément très important, c’est la transformation des productions locales. Il faut absolument qu’on s’oriente vers le marché des produits prêts à l’utilisation. Par exemple, la FCTE (France Calédonie Tropic Export) va vendre des squashs non exportables à la Sopac, qui traite les crevettes en surgélation à Koné. À la fin du second semestre, l’usine est vide. Elle va pouvoir transformer une vingtaine de tonnes de squash cette année.

Avez-vous eu des arrêts d’exploitations ?

Nous avons des exploitations au ralenti. Je n’ai pas connaissance de gens qui ont arrêté. En revanche, j’entends parler de gens qui veulent arrêter. Je pense que ça va repartir, mais différemment. Les exploitations vont sûrement se diriger vers la polyculture. Aujourd’hui, j’ai deux ou trois cultures principales. En 2025, j’en prévois entre huit et dix pour étaler le risque. À la Chambre, nous accompagnons les exploitants et pêcheurs pour qu’ils ne disparaissent pas. Il faut qu’on les pérennise pour être prêts à la relance.

Ce ralentissement n’aura-t-il pas un impact sur les saisonniers ?

C’est là où finalement on va se retrouver avec une problématique sociale. Souvent, en Brousse, l’emploi agricole saisonnier est un emploi qui correspond aux attentes des populations, c’est-à-dire quelques semaines, quelques mois dans l’année pour faire des pièces pour les mamans. L’agriculture traditionnelle et familiale est un élément important de la Chambre. Elle représente près de 2 000 ressortissants sur 3 300. Nous estimons qu’on va avoir un fort développement de cette agriculture pour des raisons purement alimentaires. On le voit déjà en Brousse, mais aussi dans le Grand Nouméa, avec des flancs de colline qui commencent à être défrichés.

La baisse du pouvoir d’achat ne risque-t-elle pas de toucher l’alimentaire ?

L’augmentation des prix à la consommation des derniers mois est liée aux aliments importés. Sur les fruits et les poissons, le prix a même baissé. C’est positif, mais on ne va pas se leurrer. Demain, comment va se comporter le consommateur calédonien lorsqu’on sera arrivé aux termes du chômage ? Personne ne peut le dire. Et nous avons aussi une forte crainte sur le braconnage bovin, mais aussi sur les vols dans les champs.

Propos recueillis par Fabien Dubedout