[DOSSIER] L’épineuse question du corps électoral

Provinciales, législatives, présidentielles, européennes… les Calédoniens votent quasiment tous les ans depuis 2017. (© Archives Y.M.)

« La Nouvelle-Calédonie entretient des rapports particulièrement exacerbés avec l’exercice du droit de vote », écrivait en 2001 le professeur Jean-Yves Faberon dans L’évolution du droit de vote en Nouvelle-Calédonie (Revue juridique polynésienne). L’année 2024 en a été la parfaite illustration. Le projet de loi constitutionnelle pour modifier le corps électoral provincial, poussé par l’État, a longuement mobilisé, pacifiquement, ses opposants et les partisans du dégel. Les émeutes du 13 mai ont éclaté alors que le texte était soumis au vote des députés. La question du corps électoral est devenue l’épicentre des tensions entre indépendantistes et non-indépendantistes et, pour certains, il constitue une ligne rouge.
La question a été repoussée grâce à l’adoption à l’Assemblée nationale, mercredi 6 novembre, d’une proposition de loi organique qui prévoit le report des élections provinciales au plus tard le 30 novembre 2025. Le sujet n’en est pas moins central lors de la visite de Manuel Valls en Nouvelle-Calédonie.
Avant son arrivée, le ministre des Outre-mer affirmait le 17 février sur Franceinfo qu’« on ne peut pas uniquement élargir ou dégeler, comme on dit – c’est un vilain mot -, le corps électoral s’il n’y a pas une réforme globale ». Lors de ses multiples séquences sur le terrain, l’ancien Premier ministre s’est bien gardé d’aborder le sujet frontalement. À l’issue de la plénière de méthode du lundi 24 février, il a déroulé les trois principaux thèmes des négociations, dont « le premier thème, c’est le lien avec la France, donc il faudra discuter de l’au- todétermination, de la décolonisation, des questions de citoyenneté, du corps électoral et évidemment des compétences régaliennes. Il n’y a pas de tabou, tout est sur la table ».
Du Code de l’indigénat à la constitution de trois corps électoraux, en passant par le Conseil général réservé aux seuls colons, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie a connu de nombreuses et profondes modifications de son rapport aux urnes. Et d’autres sont à prévoir. Les prochaines élections provinciales et d’éventuels référendums de projet ou d’autodétermination sont autant de sujets qui impliquent des décisions sur la citoyenneté et le droit de vote.
Depuis 2007 et les restrictions des corps électoraux provinciaux et référendaires, la société calédonienne a subi plusieurs mutations. « La proportion des électeurs privés de droit de vote pour l’élection des assemblées de province et du Congrès par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale générale est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023 », a ainsi noté Philippe Bas dans son rapport au Sénat du 20 mars 2024. Autre fait marquant, les législatives de juillet 2024 ont donné une majorité de plus de 10 000 voix au camp indépendantiste, avec un corps électoral ouvert.
L’analyse des élections provinciales démontre un fort conservatisme de la géographie électorale entre les indépendantistes et leurs opposants. Sauf que les émeutes de 2024 auront des conséquences dont la portée reste aujourd’hui difficile à évaluer. Notamment sur les mouvements de population, hors du territoire et au sein même des provinces. Le Palika a ainsi monté en fin d’année des permanences dans le Grand Nouméa pour aider les inscriptions sur les listes électorales. La principale inconnue reste le périmètre des électeurs.

F .D.