[DOSSIER] Le temps long, à Rivière-Salée

Habitant Rivière-Salée depuis plusieurs dizaines d’années, Nathalie estime qu’il « y a une sorte de résignation » dans l’attitude de certaines personnes du quartier, même si « la solidarité est bien présente ». (©N.H)

Quartier sensible lors des émeutes, Rivière-Salée a été dépossédé de nombreuses infrastructures et services publics. Entre résignation et solidarité, ses habitants tentent de s’adapter à leur nouvelle vie, en espérant une reconstruction prochaine.

De part et d’autre de l’avenue Bonaparte qui traverse le quartier, les bâtiments portent encore la trace des exactions commises il y a un an. Comme d’autres secteurs de Nouméa, Rivière-Salée donne l’image d’un quartier fantôme, tant l’affluence est faible en journée.

En face de l’ancienne station Shell, désormais hors service, Emerick, François, Alex et Cédric font cuire des brochettes. Ayant perdu leur travail durant les émeutes, cette activité leur permet de subvenir à leurs besoins. Puis, accessoirement, de « financer notre deuxième album », expliquent-ils. Auparavant, leur groupe de musique répétait au sein de la maison de quartier. Depuis qu’elle a été incendiée, « on est obligés de nous disperser et d’aller dans d’autres maisons de quartier », regrettent-ils.

Quelquefois, des fruits et légumes viennent s’ajouter à leur stand. « Je vais les chercher à Hienghène, puis on les vend ici, à 50 francs la pièce. C’est surtout pour aider les habitants, car pour beaucoup d’entre eux, c’est compliqué… », témoigne Emerick.

Emerick, François, Alex et Cédric tiennent leur stand de brochettes les lundis, mercredis et vendredis. (©N.H)

Isabelle* fait partie de ces personnes. Auparavant, cette grand-mère avait un travail. Elle s’y rendait chaque matin en bus. Depuis les émeutes, « tout est une galère », souffle-t-elle. Les tickets de bus à 500 francs la restreignent dans ses déplacements et, avec la perte de son emploi et de son chômage, les factures s’accumulent. « Ce mois-ci, je ne sais pas comment je vais faire », avoue-t-elle.

Une perte de pouvoir d’achat qui se répercute sur le peu de structures encore présentes dans le quartier. À l’image de la pharmacie dont la fréquentation a chuté de « pratiquement 30 % ». « Il y a beaucoup moins d’offres de soins, puisque de nombreux cabinets de médecins ont brûlé, en plus du bâtiment de la Cafat. Les gens ont également moins de moyens, donc ils se soignent moins et vont donc moins à la pharmacie », décrit le pharmacien, Nicolas Hordoir.

RETOUR EN ARRIÈRE

En un an, les bâtiments incendiés au sein du quartier n’ont pas été démolis. Il n’y a plus de centre commercial, plus de station-service, ni même de salle de concert. « J’ai comme l’impression qu’on nous a abandonnés », glisse Nathalie, qui désespère de ne voir aucune démolition débuter. « C’est comme si nous étions revenus des dizaines d’années en arrière […] Avant les émeutes, notre point d’attraction, c’était le centre commercial. Tout le monde transitait vers ce centre-là, et pas seulement les habitants de Rivière-Salée. Aujourd’hui, c’est mort », regrette-t-elle.

Heureusement, quelques élans de solidarité ont vu le jour au cours des douze derniers mois. Outre la création de l’association Solidarité RS, qui distribue toujours des paniers alimentaires aux personnes dans le besoin, un petit « comptoir » s’est mis en place dans le quartier. À sa tête, Wilfried Abdoul, un habitant de Païta qui a perdu son travail durant les émeutes. « Je savais qu’ici, il n’y avait plus de magasin. Les petits vieux allaient faire leurs courses jusqu’au 4e kilomètre. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire », raconte-t-il.

Depuis septembre 2024, il y vend des produits de première nécessité et sert directement les habitants au comptoir afin d’éviter toute incivilité. Au travers de cette activité, Wilfried Abdoul est un témoin direct des difficultés rencontrées par les habitants du coin. « Étant donné qu’il n’y a plus le chômage pour certaines personnes, beaucoup sont en galère. Quand ils viennent avec des petites pièces de 5 ou 10 francs pour payer un pain à 130 francs, tu sens bien que ce sont les fonds de tiroir. Du coup, j’essaie d’être malléable avec certains d’entre eux », explique-t-il.

« LA COHÉSION REVIENT »

En fin d’après-midi, les activités de plein air reprennent peu à peu, redonnant un semblant de vie à Rivière-Salée. Sur le stade Bernard-Ukeiwé, les entraînements et matchs de football ont été relancés depuis quelques semaines. Sous la lumière des lampadaires éclairés jusqu’à 22 heures, quelques personnes en profitent pour reprendre la marche.

Plus loin, certaines mamans se rassemblent pour jouer au bingo, pendant que les hommes optent pour la pétanque sur un terrain vague, en face de l’école Les Roses. « Depuis février 2025, nous, les garçons, on a commencé à se retrouver ici, raconte Didier. On discute, ça nous fait du bien. »

Peu à peu, Rivière-Salée renaît ainsi de ses cendres. Et si « tout n’est pas réglé à 100 % », estime Francis Maluia, président de l’association Solidarité RS, on sent bien que la cohésion revient. Il n’y a plus cette peur d’être dans un environnement insécure […] Il faut commencer quelque part, et je pense qu’on a entamé les bonnes marches vers la guérison et la reconstruction ».

Nikita Hoffmann

*Le prénom a été modifié