En quelques décennies, la pratique du rap s’est démocratisée et a investi la place publique. Au Rex à Nouméa, au Big up spot à Dumbéa ou dans les différentes maisons de quartier, le mouvement musical réunit aujourd’hui différentes communautés et générations de Calédoniens.
Indissociable du mouvement hip-hop, le rap arrive sur le territoire dans les années 1980, quelque temps après sa diffusion dans l’Hexagone. La télévision contribue à populariser ce nouveau courant musical venu des États-Unis.
L’école d’art de Ko We Kara, ouverte en 1990, crée le terreau fertile à la naissance d’un rap local qui sera porté par des figures comme Dider Mindia (lire page 10) ou Patrice Kaikilekofe. Le premier collectif, Apolstoa-33, émerge alors. Malheureusement, « nous avons très peu d’enregistrements de cette époque, explique PaBlöw Barri, président de l’association Dix-Vers-Cités. Les premiers enregistrements se feront à la fin des années 1990-début 2000 ».
Le passage à cette nouvelle ère marque la création de deux collectifs : VPC (Vandale par conviction), porté par le rappeur Ybal Khan et DJSE, et Section Otoktone, créée par Arnaud Chollet-Léakava. C’est aussi durant cette période qu’apparaissent les premiers CD. Section Otoktone sortira son premier single, avec les titres « On vient de la rue » et « La Calédonie ». En parallèle, VDC sortira sa mixtape « Le Bâtard ».
BATTLES
À cette époque, les prestations de rap – et de hip hop – sont réalisées dans la rue ou sur le lieu symbolique du « damier », à la place des Cocotiers. Les battles pouvaient également avoir lieu au dock socioculturel de Païta, au faré de Rivière-Salée ou au centre culturel du Mont-Dore. « Dans l’année, il devait y avoir deux ou trois dates importantes où tous les danseurs et rappeurs se réunissaient. Il n’y avait pas Facebook, donc c’était vraiment le moment où on faisait des battles. Il y avait une vraie rivalité », s’amuse PaBlöw.
Puis, en 2009, le Rex est créé. Quatre ans plus tard, en 2013, le collectif Ina Di Street est fondé, à la suite d’un freestyle réalisé dans les locaux de Radio Océane. « Dans le cadre d’une émission hip hop, ils avaient réuni plein de rappeurs du moment, comme le collectif Rap NC, Nasty, Rasta Vin’s, etc. Par la suite, on s’est dit qu’on n’allait pas s’arrêter là et on a commencé à se retrouver pour des battles dans la rue. C’est de cette manière qu’on a appris à tous se connaître », raconte PaBlöw.
Le collectif se structure en association, Dix-Vers-Cités, et monte un studio d’enregistrement au Rex, « La Fabrique numérique ». Piloté par Rasta Vin’s, il a contribué à l’émergence de toute la scène rap actuelle. Des artistes comme Chavi, Kuby et Nasty & Reza y enregistrent leurs albums, suivis par une deuxième vague d’artistes, tels que Lenimirc, Fedy, Solo, ou Eljox. Chaque année, une mixtape contenant les meilleurs titres sort.
En parallèle, l’association organise de nombreux évènements autour du rap et fait venir des artistes de Métropole tels que Demi Portion en 2016, Kenyon en 2017, Bigflo et Oli en 2013 et 2019.
Aujourd’hui, des auteurs comme Wyka et iouri (lire page 12) sont considérés comme la dernière génération de rappeurs calédoniens. Difficile, néanmoins, de recenser le nombre de rappeurs actuels sur le territoire. Car, s’ils s’ont une trentaine à passer dans le studio du Rex chaque année, « il y en a aussi beaucoup qui rappent de leur côté et qu’on ne connaît pas ».
À part le duo Nasty & ReZa, qui a effectué quelques dates de concert en Métropole, aucun rappeur calédonien à ce jour n’est parvenu à « percer » réellement au niveau national, en comparaison, par exemple, du mouvement reggae, avec des artistes comme Marcus Gad et le groupe I&I. Pourtant « on en rêve », affirme le président de Dix-Vers-Cités. « Ça arrivera peut-être un jour… »
Nikita Hoffmann
Petit lexique du rap
Le rap conscient délivre un message souvent politique et/ou social. Les paroles se veulent percutantes. En Nouvelle- Calédonie, on peut inclure dans cette catégorie, entre autres, les artistes Nasty & Reza, Ybal Khan, Rap NC et Valdel.
La trap : né dans les années 2000, ce rap met en avant l’univers de la rue. On peut citer le rappeur Lawys comme appartenant à ce style.
La drill / gangsta rap : semblable à la trap, ce style fait référence à un rap plus brutal, avec le meurtre, la prison et la drogue comme sujets récurrents. Le rappeur Lenimirc a réalisé quelques morceaux qui se rapprochent de ce style.