[DOSSIER] Le délicat chantier de la déconstruction

3 440 déclarations de sinistres ont été recensées par le Cosoda, dont 1 700 entreprises (qui représentent 49 % des sinistres, mais 96 % du montant global des indemnités à verser), 1 480 automobiles et 260 habitations. (© F.D.)

L’économie, déjà affaiblie avant le 13 mai, souffre terriblement depuis ces cinq derniers mois. Dans cette période morose, les chantiers de déconstruction, qui démarrent progressivement, constituent une bouffée d’air synonyme d’opportunités pour les sociétés du bâtiment.

Même si à la mi-octobre, seuls 10 % du total des indemnisations avaient été versés, soit un peu plus de 13 milliards de francs, sur une estimation de 120 milliards de dégâts sur les entreprises. Un processus lent. Cette « détresse » du monde économique, « je la comprends », admet Frédéric Jourdain, président du Cosoda, comité des sociétés d’assurance, expliquant que les assureurs sont soumis aux rendus des experts. Ceux « venus de Métropole ont livré 17 % des rapports définitifs qui permettent de régler le plus gros de l’indemnisation ».

Malgré tout, si les opérations sont encore peu nombreuses, cette niche donne du souffle en attendant le démarrage de la reconstruction. Et attise les convoitises, aussi. L’activité intéresse au-delà des quelques entreprises du BTP spécialisées sur le territoire, à peine une demi-douzaine contre une vingtaine aujourd’hui. Cela favorise une « concurrence déloyale », selon Joël Langouet, directeur de Sciage Béton. « Elles se mettent à la démolition et cassent les prix quasiment par deux. Elles tuent le métier. C’est devenu l’anarchie sur ce marché. »

ET LES DÉCHETS ?

Afin d’accompagner les professionnels et structurer ces opérations, un guide et une charte des bonnes pratiques ont été rédigés par les institutions, la Fédération du BTP et le cluster Acotred, la Chambre de commerce et d’industrie, avec pour objectif, entre autres, de réduire l’impact environnemental, lié notamment aux déchets qui en seront issus, et « assurer la sécurité des travailleurs et des résidents ». La province Sud a également adopté une délibération afin d’encadrer la question des gravats.

Visiblement, cela ne suffit pas. Certains professionnels dénoncent des abus. « Beaucoup de chantiers ne sont malheureusement pas déclarés à la Calédonienne de services publics et nous ne savons pas où vont les déchets », déplore Joël Langouet.

Mais, tout cela ne va durer qu’un temps. Une fois les restes des bâtiments incendiés enlevés, il faudra bien que la reconstruction prenne le relais le plus tôt possible, avant même la fin de la démolition. Sera-t-elle au rendez-vous ? Certains entrepreneurs veulent se relancer. D’autres non. Et puis, il y a ceux qui seraient prêts à le faire, mais ne souhaitent pas prendre le risque avec la disparition de la clause émeutes des contrats d’assurance. À la place, indique Frédéric Jourdain, les assurances proposent « d’élaborer un fonds » qui s’inspirerait du fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles métropolitains.

Stéphane Yoteau, vice-président de la CCI, craint que des projets ne voient pas le jour. Les assurances seraient frileuses. « C’est au bon vouloir des maisons-mères et des réassureurs, qui considèrent que la Nouvelle- Calédonie n’est plus assurable pendant un temps. »

Et puis, après les indemnisations, annonce le président du Cosoda, « les sociétés d’assurance locales vont très certainement déposer, de façon individuelle, un recours en justice contre l’État qui doit être garant de la sécurité publique ». Pas sûr que cela soit de nature à favoriser une bonne relation avec le gouvernement central, au moment où le ministre des Outre-mer annonce qu’un travail est en cours avec les assureurs à Paris afin d’accélérer les indemnisations.

Anne-Claire Pophillat