[DOSSIER] « Le chant des baleines à bosse est l’un des plus complexes du règne animal »

La biologiste marin Solène Derville travaille pour l’association Opération Cétacés. Ses bénévoles observent chaque saison les baleines à bosse et tentent de percer les secrets qui entourent ces mastodontes des mers.

DNC : Depuis combien de temps les chercheurs s’intéressent-ils aux baleines à bosse en Nouvelle-Calédonie ?

Solène Derville : L’association Opération Cétacés a été créée en 1995 grâce à Claire Garrigue. Avant, on ne savait pas combien il y en avait, comment elles se portaient. Les premières recherches ont permis d’estimer la taille de cette population et de montrer qu’elles étaient en danger.
Dans le Pacifique, les baleines ont été décimées. Des chasses illégales se sont poursuivies dans le sud du Pacifique jusque dans les années 1980. Le stock océanien est toujours considéré en danger d’extinction.

Qu’avez-vous appris ?

Ces 25 années de recherche ont apporté énormément d’informations sur la population de baleines à bosse qui se reproduisent et mettent bas en Nouvelle-Calédonie. Les baleines des Tonga, de la Nouvelle- Calédonie et de la Polynésie française appartiennent à des groupes différents. Les nouvelles technologies nous permettent d’étudier les choses différemment et d’en apprendre de plus en plus.

Comment les étudiez-vous ?

À partir des bouts de peau et de gras, on peut faire des choses incroyables : connaître l’âge de l’animal, extraire la testostérone, estimer le régime alimentaire, etc.

Les échantillons de tissu s’obtiennent de plusieurs façons. Quand les animaux interagissent à la surface, ils perdent des bouts de peau suffisants pour les analyser. On en prélève aussi à l’aide d’une arbalète ou d’un fusil hypodermique.

On a étudié l’impact des biopsies sur 25 ans et plus de 2 000 prélèvements. Dans la majorité des cas, on peut dire que les animaux ne réagissent pas. Ils doivent le sentir, mais cela ne provoque pas une douleur susceptible de les impacter durablement. De plus, nous prenons toutes les précautions nécessaires pour les déranger le moins possible.

« Dans le Pacifique, les baleines ont été décimées par les chasses. Elles sont toujours considérées en danger d’extinction. »

À quoi vous intéressez-vous ?

En ce moment, on s’intéresse aux impacts du changement climatique en collaboration avec l’université de Griffith en Australie. L’idée est d’utiliser la baleine à bosse comme sentinelle des changements que l’on observe dans les eaux polaires.

Tous les ans, on réalise un certain nombre de biopsies que l’université australienne va analyser pour avoir accès à l’état de santé des animaux, à leur régime alimentaire ou leur fécondité. Nos collègues regardent la qualité du gras, les hormones, les polluants, les isotopes… pour voir comment ces éléments vont évoluer au cours du temps en fonction des conditions en Antarctique.

Les baleines à bosse viennent en Nouvelle-Calédonie pour se reproduire – Opération Cétacés

L’avantage des baleines à bosse est qu’elles migrent chaque année, donc elles sont accessibles. L’état des populations reflète la qualité de leur habitat en Antarctique.

Avez-vous d’autres champs de recherche ?

Un autre de nos sujets de prédilection était de comprendre pourquoi les baleines se regroupent autour des monts sous-marins. Ce sont des montagnes sous-marines qui s’élèvent du fond, mais n’atteignent pas la surface, comme le fameux mont Antigonia. On a mis en évidence à quel point ils étaient importants.

On pense qu’il y a des phénomènes sociaux qui poussent les baleines à s’y regrouper. Peut-être qu’ils sont avantageux pour propager leur chant ou pour se nourrir, même si les baleines sont supposées jeûner tout au long de la saison de reproduction. On n’a pas pu complètement répondre.

On travaille aussi avec une équipe de l’université de Saint-Andrews, en Écosse, sur le chant des baleines. Ici, nous avons la chance d’avoir une petite population suivie depuis de nombreuses années. On a enregistré les chants à plusieurs reprises, sur plusieurs années, à l’aide d’hydrophones.

« Leur chant se compose un peu comme le langage humain. »

Que savons-nous de ce chant audible par l’homme ?

Le chant des baleines est propre aux mâles en zone de reproduction. On ne comprend pas complètement les fonctions de ce chant considéré comme l’un des plus complexes du règne animal. Il se compose, un peu comme le langage humain, de répétitions de mots qui forment des phrases, puis des thèmes que les mâles alternent.

Dans le Pacifique, on s’est rendu compte que le chant change chaque année et se déplace d’est en ouest. Celui d’Australie va être repris en Nouvelle- Calédonie l’année suivante, puis à Tonga, etc. On se demande encore à quel moment ils l’apprennent et pourquoi ils décident de l’adopter.

Les toutes dernières informations, relevées avec des balises satellites, montrent que des animaux de Nouvelle-Calédonie traversent la mer de Corail en fin de saison et descendent le long de l’Australie pour rejoindre l’Antarctique. Cela nous fait penser qu’ils peuvent l’apprendre en cours de route.

Propos recueillis par Brice Bacquet

Photo : Solènne Derville, biologiste marin accueillie à l’IRD – B.B.

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