[DOSSIER] Le Cese prend le sujet à bras-le-corps

Le Conseil économique, social et environnemental a voté à l’unanimité vendredi 14 octobre un vœu pour que l’endométriose devienne un enjeu de santé publique et de santé au travail. 17 recommandations ont été formulées.

L’endométriose est une préoccupation majeure du Cese depuis que le sujet a été porté par le gouvernement national jusqu’à un plan début 2022. En Nouvelle-Calédonie, quasiment tout reste à faire. La commission de la femme présidée par Pascale Daly y a consacré la première autosaisine de la mandature.
Comment, en effet, continuer à ignorer cette pathologie aux conséquences colossales sur tous les aspects de la vie des femmes concernées ?

« Rendez-vous compte, le diabète dont on parle beaucoup touche autant de personnes mais celles qui ont l’endométriose souffrent d’une indifférence, de retards de diagnostic, de traitements parfois inadaptés », souffle la présidente. Mais pourquoi donc ce silence, paru effrayant à bon nombre de conseillers ? « Dans l’imaginaire général, les femmes souffrent, depuis la nuit des temps et on considère que c’est normal » regrette le président de l’institution, Jean-Louis Danglebermes. On peut ajouter que la recherche ne s’est pas précipitée pour les soulager.

Impact sur le travail

« Chefs d’entreprise, vous avez sûrement une employée qui en souffre et vous verrez que ce n’est pas anodin », a lancé Pascale Daly (photo). L’endométriose affecte les femmes dans leur productivité (douleurs, défaut de concentration etc.) et dans leur perspective de carrière.

Les absences pour des douleurs ou rendez-vous médicaux sont mal vues. L’absentéisme au travail est estimé en France en moyenne à 31 jours par an et la réduction de la productivité à 23,2 jours avec une perte de 10,8 heures de travail par semaine.

« PRIORITÉ DE SANTÉ »

Sur la base des connaissances générales et les quelques informations locales obtenues auprès du gouvernement, de la Cafat et de médecins, la Commission de la femme, appuyée de tout le Cese, demande l’inscription de l’endométriose aux priorités de santé et une étude sur le territoire par l’observatoire de la santé. Les directions et les services publics sont invités à s’emparer du sujet.

Sur le plan médical, l’assemblée recommande la mise en place d’une équipe spécialisée et pluridisciplinaire en s’assurant de la présence par exemple d’endocrinologue dans le contexte de pénurie, et d’un suivi psychologique des couples notamment dans le cadre de la PMA. Les professionnels de santé et de la sexualité doivent être formés.

Elle propose aussi de créer des espaces dédiés gratuits dans des établissements médicaux sociaux et recommande le remboursement des contraceptifs à usage médical pour l’endométriose aux 26 ans et plus (la prise en charge concerne les mineurs et moins de 25 ans) car ils peuvent parfois être efficaces contre la douleur. Le conseil demande que l’endométriose figure dans une liste spéciale d’affection longue durée pour une inscription automatique et une couverture santé totale jusqu’à la ménopause.

Pour le Cese, il faut sensibiliser toute la population. L’endométriose « nécessite encore une prise de conscience de la part des hommes » et une « communication intergénérationnelle mère-fille ». Il faut aussi inciter les jeunes filles à consulter, « car elles peuvent en souffrir dès 11 ans », inclure ce sujet au programme d’éducation sexuelle à l’école, former les infirmières scolaires.

Le conseil milite par ailleurs pour la mise en place d’une antenne de l’association EndoFrance, d’une application mobile. Il insiste enfin sur la sensibilisation des ressources humaines et des médecins du travail à la prise en compte et l’accompagnement en milieu professionnel.

« C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE J’EN ENTENDS PARLER »

Au Cese, la présentation a été suivie d’un débat. La Commission a été félicitée pour son travail. Les hommes ont notamment fait part d’un réel intérêt. « On n’a pas voulu écouter. J’ai quatre filles et ma femme. Ça fait réfléchir », glisse Mélito Finau. « J’ai découvert l’ampleur du phénomène en travaillant sur ce sujet. En 40 ans en entreprise, je n’avais jamais entendu parler de cette maladie a commenté Jean-Jacques Annonier. Nous avons en tant que société civile le devoir de porter ce dossier ».

Le débat a naturellement dévié sur l’égalité des sexes, notamment au travail. « La notion d’humanisation n’est pas prise en compte dans les entreprises. Chez nous, les femmes ont toute la latitude pour s’organiser » a témoigné Jacques Loquet. « Dans le milieu professionnel, il va falloir faire une vraie révolution » a ajouté Lionel Woreth. Wamo Wadrenges s’est projeté en souhaitant que les résultats en matière de communication soient « à la hauteur des moyens engagés », ce qui n’est pas forcément le cas pour le cancer du sein, du col de l’utérus, etc.

Au final, « jamais un débat a autant captivé en séance » dans cette mandature a conclu Yves Goyetche.
« C’est plein d’espoir » selon Pascale Daly qui va poursuivre son travail sur l’accès à la PMA.

Chloé Maingourd

Photo : Ce vœu positionne le Cese exactement dans le rôle qui doit être le sien : celui d’une force de proposition sur les enjeux majeurs de notre société, au nom de la société civile. / C.M.

Au gouvernement, la santé au féminin

« Ces recommandations coïncident totalement avec ce que l’on veut mettre en place » a indiqué Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement en charge de l’égalité des genres, de l’enseignement.

L’exécutif qui regarde désormais la santé également avec un prisme féminin (et aussi familial et culturel) « pour mieux soigner » souhaite décliner ici un plan de lutte contre l’endométriose, pour améliorer le diagnostic, l’accès aux soins, la couverture Cafat. Il pourrait relayer la journée mondiale contre l’endométriose ou la semaine européenne.

Le gouvernement travaille plus largement sur plusieurs textes visant à étendre la gratuité de la contraception jusqu’à 26 ans (il pourrait y ajouter la contraception médicale) avec une consultation dédiée au choix de la contraception puis au suivi au terme de la première année.

Autres axes de travail : la gratuité de la pilule du lendemain (sans ordonnance), une consultation gratuite pour le dépistage et le traitement des IST ou encore la précarité menstruelle. L’allongement du délai légal de l’IVG et l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, votés en Métropole, vont également arriver en Nouvelle-Calédonie

 

Quel coût ?

En France, la maladie coûterait 1 333 milliards de CFP par an (coûts médicaux et perte de productivité compris). Le coût moyen par femme et par année en 2012 s’élevait à plus d’un million de CFP : plus de 360 000 francs de soins et 750 000 francs de perte de productivité pour l’employeur.

Une autre étude estime le coût mensuel à 18 000 francs auquel il faut ajouter les thérapies parallèles (4 800 F) pour soulager les douleurs. En moyenne, depuis 2017, les dépenses totales liées à l’endométriose par la Cafat s’élèvent à hauteur de 6,4 millions par an(pic à 15 millions en 2021 en raison de dépenses cumulées de deux patientes).

 

Des avancées scientifiques

La commission de la femme s’est aussi intéressée aux examens médicaux en cours de recherche. De nouvelles techniques permettant de localiser l’endométriose ont été mises en lumière comme le test salivaire, proposé par Ziwig, une start-up française. Cet outil de détection aurait une fiabilité de 95 % et sera bientôt disponible dans plusieurs pays d’Europe. Il y a aussi les ultrasons, l’utilisation des marqueurs sanguins reflétant l’intensité de

la douleur, la modélisation 3D des organes des patientes ou encore le dépistage. Autant d’avancées qui visent à améliorer le parcours des soins des femmes atteintes de la maladie mais qui nécessitent encore des recherches. Le développement de nouvelles applications numériques comme Luna, Follow metrios ou la plateforme Endoziwig sont également un coup de pouce pour le diagnostic.

 

Prise en charge

La prise en charge par la Cafat permet aux patientes de bénéficier d’une reconnaissance « longue maladie hors liste » en 100 % tiers- payant attribuée pour deux ans et éventuellement renouvelable.

Mais seules certaines endométrioses sont prises en charge soient 15 à 24 femmes par an auxquelles il faudrait ajouter celles relevant de l’aide médicale. Ces critères ne permettent pas à toutes les femmes d’accéder au dispositif. Et un grand nombre ne savent pas qu’elles en souffrent.

 

Dans notre dossier

Endométriose, sortir du silence
Décrite pour la première fois en 1860, l’endométriose a commencé à devenir un enjeu de santé publique dans certains pays autour de 2015. →

Leur parcours de combattantes
Elles connaissent des douleurs « innommables » durant les règles. L’incapacité à se rendre au travail mais aussi les difficultés à avoir un bébé.→

Une association sur laquelle s’appuyer
30 à 40 % des femmes atteintes d’endométriose connaissent des problèmes de fertilité. Elles peuvent se tourner vers le collectif Bamp qui accompagne les couples confrontés à ces difficultés.→

Clotilde Dechanet : « Depuis quelques années, la maladie est mieux diagnostiquée »
Les règles très douloureuses et les difficultés à concevoir un enfant sont les signes d’alerte qui doivent inciter les patientes à consulter un gynécologue.→